vendredi 19 novembre 2021
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Je me rends compte que ces derniers mois, je n’ai cessé, dans mes pérégrinations, de parcourir les cours d’eau, principalement l’Ariège, la Garonne, le Tarn et la Neste. J’écris ces lignes au moulin de Roques, une médiathèque très accommodante. Mais il y a plus – l’idée me naît que l’on pourrait autant dire « rivières-ponts » – des croisements, non pas de chemins, mais de deux entités – route (nous) et rivière (l’eau de nos vies). Chaque fois qu’il y a une rivière, il y a un flux. Des expressions telle que « ce qui compte est le cheminement, pas la destination » ou inversement « la fin justifie les moyens » n’ont plus de sens, c’est un flux constant, un film qui se déroule sans fin.
Il y a une semblance de contraste entre cet état d’affaires et celle d’une route qui n’est faite que pour nous acheminer de point à point, en théorie, dans sa pratique. Il m’a toujours paru ironique que l’une des fonctions majeures de la route, la mise en contact des gens qui se croisent, même endroit, même moment, est totalement bafouée par nos véhicules, capsules d’expédition de point A à point B – et on s’étonne de l’absence de gens sur la voie publique et de leur clanisme ! Question : c’est quoi, deux bolides qui se rencontrent ? Réponse : un accident de route. Les tous terrains passent outre, bien sûr, ils écrasent tout terrain sur leur passage. Dans l’espace proche de la Terre, l’embouteillage se fait par fragmentation.
J’espère que ce que je viens d’écrire à un sens pour vous, lectrices, lecteurs. Le chemin et le cours d’eau se croisent et se longent, dans une infinie de richesses paysagères, usagères, sans aucun effort sauf celui du moindre coût de la gravité.
C’est la chose liquide qui bouge qui nous atèle à la tâche de sa navigation, elle est là et elle bouge, comme nous. Comme un serpent, l’inondation nous induit le respect, acier liquide.
En nous réintégrant au flux de l’eau, dans nos mouvements, n’est-ce pas que l’on s’attache à la vie ? La tuyauterie, l’eau invisible, qui craint d’être vue au plein jour, fait vœu d’une sorte de parcimonie accapareuse … devant une ubiquité patente. Je viens de regarder des photos satellite du désert, l’œil de l’Afrique en Mauritanie, par exemple. Le désert écorché qui s’étend au sud-est de ce tourbillon de terre paraît un clin d’œil dans le sens contraire, dans cette étendue nue depuis des millénaires. On protège ses sources, n’est-ce pas, sinon ils seront évaporées et aspirées par le néant, écho de l’éternité ?
Les sacrifices victualières, l’offrande de l’ablution, existent depuis bien longtemps, elles indiquent une conscience imprécise de ce qui est défini de nos jours comme une boucle de rétroaction entre nature et nous. Donner et recevoir. Droit et devoir. Des réciprocités inaliénables. La liberté ne se confine pas à soi, elle se cherche dans l’entre-nous.
Mon journal de bord de route est en jachère, en cette lisière de rivière. J’ai perdu ma route, je me suis égaré pour mieux me retrouver, par la voie de moindre résistance.