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dimanche 16 mai 2021
Success story – affabulations
En fait, c’est depuis les années 1970 que la conscience de la
catastrophe écologique se définit – peu de repères novateurs se
créent depuis ce temps-là. Même sans cette causalité, la
génération en formation à cette époque-là est la génération
qui détient le pouvoir en 2021 – qui colorise notre perception de
l’avenir encore avec ses vieilles histoires.
L’avenir. 2000. 2020. Ce qui n’a pas changé comme prévu,
c’est la modernité. Je regarde autour de moi, les objets, la
crasse, les vêtements souillés, la fenêtre mal-installée. Ce
n’est pas Star Trek. C’est plutôt Shackleton. Le monde n’a
jamais été aussi moderne que … en 1920, … en 1850, en 200 AD.
Le monde n’a jamais été ni sera moderne. Voilà, c’est dit.
Après, nos perceptions sont autres. Une image passée de l’avenir
peut paraître plus vraisemblable – plausible, que la réalité.
L’intelligence artificielle HAL, de Kubrick, en 2001 – le film
(qui date des années 1960) est une incarnation de l’idée, un
archétype qui nous va bien. Il y a des éléments qui échappent à
notre perception collective – qui est un fossile, une empreinte,
pas une réalité, mais sa réflexion.
En fait, je viens de cette génération dont j’ai parlée. En
fait, c’est depuis les années soixante, les années cinquante, les
années vingt, Jules Verne, Mary Shelley, que la conscience de la
catastrophe écologique se définit, avec l’éternel Golem en
arrière plan. Il y a tellement peu qui « n’est pas là »
que la conversation là-dessus, au cours des siècles, ne fait que de
la broderie sur le même thème. J’aime particulièrement The
Iron Man (Ted Hughes).
Nous sommes d’une génération spéciale – nous guettons
l’Armageddon qui peut arriver au cours de notre vivant – qui est
prédit dans l’immédiat. C’est sa qualité tangible, inexorable
comme la lave, qui nous fout la frousse.
Il faut admettre qu’on est plutôt déçu par le manque
d’innovation dans les narratives de désastre, dans la « science
fiction » présente. Comme si la créativité se tarissait,
comme si le monde se fermait. La logique de l’imagination est
étrange – elle paraît plus vraisemblable, plus juste, avec la
distanciation. Le fable du monstre de Frankenstein vise mieux les
maux de notre monde présent, en « deep focus », que
presque tout ce qui a été envisagé depuis. L’entourage de Mary
Shelley, sa famille, ses familiers, encapsulent le monde moderne,
l’humanisme, le féminisme, le néogothique, la narrative, le
discours politique font de ces gens d’il y a deux siècles des
ultra-contemporains. Lisez son père adoptif, sa mère, ses amis,
pour voir jusqu’à quel point frappe leur contemporanéité. Mary
Shelley est le vaisseau communiquant de ce monde du progrès
décadent, elle est née dedans, son accouchement est sa mise au
monde.
Voyons comment cela peut advenir. Comme une chenille qui bouge,
par vagues. La vague des années soixante-dix arrive à son point le
plus compacté, pour déclencher le prochain spasme segmenté de
l’histoire. Les pattes avancent, trouvent le vide, cherchent à
rétrocéder. Le vide, ce n’est pas bon. Le corps, il bouge – à
gauche, à droite, vers le haut, vers le bas, il cherche le non-vide,
là où il peut. C’est ça, les histoires – la méta-analyse
exhaustive – des protractions. On peut supposer que l’arrivée
d’une catastrophe réelle comme le covid a la mérite du réconfort,
c’est un soulagement de nos peurs, une matérialisation de
l’inconnu tant craint.
On pourrait supposer que cette maladie covidaire donne une flèche
d’avenir – elle est bio, elle n’est pas mécanique, elle n’est
pas HAL. Quelle intelligence a-t-elle !? Quel succès, quand
même ! Sa dimensionnalité est tout simplement
civilisationnelle – elle englobe. Serions-nous bien conseillés d’y
investir l’imaginaire de tous nos futurs ? Peu probable,
l’avenir est presque toujours à l’oblique, comme l’avenu du
virus, d’ailleurs.
Cependant, cette maladie a deux qualités qui complémentent la
crise existentielle de notre inécologie. Elle n’est pas humaine,
elle n’est pas artificielle et c’est elle qui impose sa réalité
sur nous – qui fait de notre réalité le vecteur de sa
transmission. Nous nous trouvons dans l’obligation d’y réagir.
Serait-ce de trop de dire que c’est à ce moment que nous
constatons qu’il n’y a ni artificiel, ni naturel, que la société
bulle n’existe pas ?
Elle
n’est pas aliène, en tous cas. Si la mesure de l’intelligence
est le succès adaptatif, elle est très intelligente. Ce qui
bouleverse pas mal d’idées reçues su la nature de l’intelligence.
On peut poursuivre l’idée – la bombe atomique n’est pas
intelligente parce qu’elle n’est pas vivante. Le virus l’est
parce qu’il vit. Mais jusqu’à il y a peu – une ou deux
décennies, on niait la vie aux virus – il leur fallait des hôtes
pour remplir le critère d’être vivants. La logique
combinatorielle, on l’a longtemps résisté, si ce n’est que par
souci de réductionnisme causal. Aujourd’hui, de plus en plus de
voix se lèvent contre l’individualisme, notre intelligence est de
plus en plus vue comme un cumul, une chose collective, interactive et
dynamique, sans fil conducteur.
Mais
dans ce cas, le « success story », il est nulle part. La
vie de Mary Shelley est ponctuée par une série d’événements
tragiques, du début à la fin. Elle est là, elle produit son
histoire de Frankenstein, cette histoire, strictement personnifiée,
englobe le tout, du début à la fin. Son illustre entourage
(Wollestonecraft, Godwin, Bysse Shelley, Byron), qui les connaît, à
part les lettrés ? Son succès, à elle, est collectif. Il n’y
a pas plus de mérite personnelle dans cette histoire que dans tous
les actes et les écrits des autres – il est même certain que sans
ces autres (et sans le temps de chien) cette histoire n’aura jamais vu la nuit, autour du feu,
au Lac Léman.
Le
virus, il est à l’extrémité de cette dépersonnalisation
intrinsèque de l’histoire, cette histoire collective. Il nous
décrit une narrative de masse, faite de petites particules, où
chaque singularité, chaque mutation, ouvre une nouvelle dimension,
potentiellement. Nos histoires personnelles ont chacune cette
latence, cette potentialité, cette risque d’intelligence
débordante. Les contes se communiquent toujours mieux lorsqu’elles
se personnalisent, hors temps. Il était une fois … la Science
Fiction … les mondes fantastiques, les héros, les incarnations.
Des destinations.
« C’est
quoi, la mission ? » (chanté par Alain Bashung). C’est
quoi, la transmission … virale ? Avec quel discernement
possible, si elle s’impose sur nous, comme une saccadée de pubs ?
Quelle est notre intelligence collective de la situation, de nos
individualités ? Le virus a été précédé et concouru par
toute une série de métaphores virales du numérique et de
l’économie de l’information. Cette convergence … dévastatrice
… de perspectives, nous apprend quoi ? Que nous sommes
surnuméraires ?
Je
ne le pense pas. Je pense que la vie de Mary Shelley et de ses
proches ont été des succès fulgurants. C’est mon histoire.
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samedi 27 mars 2021
notes sur naomi klein : «Tout peut changer: capitalisme et
changement climatique» (2014)
Première observation.
On sent le poids des milliers de citations et d’œuvres
auxquelles on a fait référence dans ce livre .
Moi qui n’ai pas l’habitude et qui trouve pénible d’étayer
chaque opinion ou analyse avec la mention d’une autorité externe,
… comme si je n’avais pas eu moi-même la capacité de
l’internaliser.
Sinon, il me semble, un être humain termine par «not
seeing the wood for the trees» (être bafoué dans ses grandes
lignes par le détail). C’est un jeu qu’on ne peut pas gagner –
le spécialiste peut connaître son petit monde de savants, le
généraliste emploie un équipe de « fact checkers » qui
en réalité coécrivent le livre, à la même fin.
Par exemple, en France je peux lire un livre très étayé par des
références constantes avec une immense bibliographie à la fin. On
en induirait que la France est à l’origine de presque toute
invention, sinon les États Unis.
Pour Naomi Klein c’est pareil – le progrès semble être
endogène au continent nord-américain, dans la vaste majorité de
ses étapes. Chacun de ces pays a de bonnes raisons pour croire que
c’est « chez nous » l’origine de telle ou telle
tendance. Il s’ensuit qu’il y a souvent, pour eux, une raison
ontologique pour cela, dans la culture, l’histoire et la géographie
de son pays.
L’origine est en réalité souvent chez les britanniques, les
polonais, les russes, les italiens, les espagnols, etc., d’autant
plus qu’ils ont adopté la nationalité du pays ou de l’ex-colonie
dans lequel ils vivent et qu'ils ont pleinement bénéficié de tous les savoirs des peuples premiers ! Mais dans la tradition de la post-analyse
historique, chaque pays a son époque – le maintenant, c’est
toujours «cheznous».
Là où il y a un apport irréfutable d’ailleurs, on «adopte»
et on intègre les savants, ce serait le cas de Beethoven, Newton,
Pasteur, Darwin, Nietzsche, Einstein, … ce qui donne une qualité
internationale à la fraternité du savoir. L’humanisme et le
savoir, l’universalisme du savoir, ne naissent pas tout-à-fait par
hasard, dans ces circonstances, ils sont le fruit d’un intérêt
commun, hautement sectoriel, anti-localiste, depuis l’usage du grec
et puis du latin comme lingua franca.
Le problème, lorsque l’intellectuel discute du globalisme et de
la mondialisation, de la croissance et du progrès, est qu’il est
lui-même producteur du phénomène qu’il critique – juge et
juré.
Ceux qui voyagent le savent. En fait le problème est plus facile
à résoudre pour eux – ils ont plusieurs trames d’analyse à
portée de cerveau, dans la mesure qu’ils peuvent se maintenir à
distance de l’élite internationale qui n’a qu’une seule
pensée, une seule culture, une seule vue (National Geographic). Ce n’est pas évident.
Le rapporteur rapporte, un peu comme un chien à son maître, les
os d’exoticisme chez lui, en espérant qu’on les trouve
intéressants. C’est l’écrivain-voyageur – le documentariste
de notre époque. On peut noter qu’il est souvent exclu de
l’obligation de citer ses sources – ce sont ses observations, la
source. L’édifice du savoir de Kazakhstan n’est pas
pris en compte par les américains, ni par les Kazakhs,
pour tout dire. On préfère la narration du voyageur qui ne maîtrise
même pas la langue de savoir du pays et qui y passe quelques jours
ou quelques mois, en Montgolfière. On le voit bien dans le développement des vaccins
contre la Covid, ceux qui ne sont pas inventés dans le cadre de
l’élite internationalisée sont systématiquement dépréciés – écartés,
on n’a même pas les moyens de les évaluer. Ne soyons pas naïfs, même le savoir est souvent basé sur rien d'autre que des liens d'affect.
Avec une trame d’analyse non-centraliste, on pourrait avancer
l’idée que c’est précisément aux lisières et aux seuils entre
une culture et une autre que les découvertes et les inventions sont
les plus fécondes. Il reste le problème de leur assimilation et
leur reproduction par la culture du centre. C'est le boulot de gens comme Naomi Klein, le plus près d'une encyclopédiste écologique de nos jours que j'ai rencontré, en litterature, jusqu'à là.
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samedi 27 mars 2021
Nomadisme
Une émission très amusante a eu lieu hier soir, grâce à un
vieil homme qui n’avait pas la commande de l’interview à
distance. Le sujet était le nomadisme, plus particulièrement dans
le désert nord-africain. Les programmateurs auraient voulu que cela
répercute sur les implications pour notre société. Le vieil homme
avait écrit des livres à cet égard, avec des idées très
intéressantes et provocatrices, mais il n’était pas en mesure de
les articuler à la radio. Avec plusieurs pauses, une voix qui
ressemblait à celle de quelqu’un d’un peu sous l’influence et
des fréquentes plaintes sur le fait qu’il ne savait pas s’exprimer
ou qu’il avait oublié ce qu’il voulait dire, on était aux
aguets pour le prochain exemple de ce qu’il ne faut pas faire à la
radio. Néanmoins, le peu qu’il a pu articuler, avec plusieurs
pauses et en maudisant l’extinction des nomades, était fascinant.
Cela était d’autant plus agréable que ceux qui s’exprimaient
«bien» dans l’émission avaient plutôt tendance à
réduire le sujet, pourtant passionnant, à un objet d’ennui profond.
Je vais tenter quelques observations propres à moi, à cet égard. J'ai été, pendant une bonne partie de ma vie, je "suis" encore nomade, ce n'est surtout pas évident de nos jours.
Être nomade signifie n’avoir presque rien, sinon rien pour
voyager – sauf soi-même et l’environnement dans lequel on bouge.
Non seulement est-ce qu’on bouge mieux sans bagages, mais on a plus
de place pour transporter ce qu’on trouve d’utile sur le chemin.
Être nomade favorise la mémoire, l’observation et la sociabilité. La manière européenne moderne de voyager est aux antipodes du nomadisme, et fait plus penser au colonialisme qu'autre chose, tellement on a la maison sur le dos.
Pour être nomade, il faut qu’il y ait des lieux où on séjourne
qui s’adaptent à sa présence – le nomade vie en étroite
coordination avec le sédentaire. Pour cela il n’y a pas de vraie
différence entre les deux, puisque c’est dans la nature de l’être
humain de se déplacer et que sans ces déplacements, il n’a ni de
support matériel ni de société humaine. La navette journalière
maison-travail-maison est du nomadisme. L'école aussi. L’existence de gîtes de passage,
d’étapes et de relais est une adaptation à la vie en mouvement et
ceux qui les maintiennent font partie de ce système de mouvement.
Le sédentaire est donc une catégorie purement inventée, sa "société" est forcément nomade.
Le nomade voyage sur des circuits, il ne peut voyager de manière
aléatoire, sinon relié intensément au paysage, tant social que
naturel, qu’il parcourt.
Ici on ne parle pas du «grand nomade», une
sous-catégorie d’exception qui prouve la règle. Pour voyager, il
existe une infrastructure – des auberges, des pâtures, des sources
et surtout des marchés. Le circuit de marchés hebdomadaires ou
mensuels est la manière la plus efficace de relier des communautés
qui bougent, c’est une référence dans le temps et l’espace sans
exigence d’infrastructure permanente. Le grand voyageur en profite,
mais sa fréquentation de tels circuits contribue aussi à leur
existence et leur entretien. De cette manière il contribue à
l’économie locale, par intérêt réciproque, au passage.
L’intérêt du nomadisme est immédiatement apparent, si on
accepte les critères le définissant avancés ci-dessus. Le nomade
n’a besoin que d’un chemin à marcher et de l’air à respirer
dans ses déplacements. Il en va de même pour la nourriture et
l’endroit où il dort. Le reste est déterminé socialement – il
y a très peu de besoins intrinsèques au nomadisme, sinon d’avoir
un milieu à minima hospitalier dans lequel il peut se déplacer.
Dans les termes d’une entreprise, on dira qu’il a réduit les
frais de l’entreprise et ainsi ouvert les marges de ladite
entreprise. Sa richesse est son rapport aux milieu. Ce ne sont
pas des considérations exclusivement marchandes qui motivent ce
calcul – ce n’est pas la main invisible du marché qui régit et
régule, si ce n’est la physicalité du monde qu’il rencontre.
La territorialisation qui empêche la libre circulation, la
propriétarisation qui élimine les lieux de passage, ce sont des
mécanismes qui, en limitant la liberté de mouvement autonome,
haussent les besoins de ceux qui se déplacent. Il est intéressant
de noter que le christianisme met ce thème en plein centre. Non
seulement est-ce que Jésus est né à l’étable, parce qu’il n’y
a pas de place à l’auberge, mais il ne cesse de se déplacer,
accompagné de ses disciples, à pied et par les moyens les plus
frugaux imaginables. La foi musulmane reprend le thème, aussi bien
que plusieurs autre religions pré-industrielles. Tout combat armé
doit prendre en considération la question de vivre sur le pays où
d’assurer les lignes d’approvisionnement.
Posons-nous maintenant la question de la technologie en mouvement.
N’est-ce pas que les amphores se trouvent presque partout, que les
textiles, l’os et le bois nous accommodent la vie en déplacement
depuis toujours? Que les silex et après les outils et les
armes en métal aussi. Surtout les bateaux et les animaux de trait
facilitent le nomadisme, à l’égal de tout moyen de transport
utilisant les roues et toute technologie qui ouvre et standardise les
routes.
Comment peut-on donc s’obstiner à dire que l’être humain
sans aucun de ces accoutrements est celui qui est le plus près du
nomadisme efficace, que c’est ceci la règle?
Chacune des technologies décrites autonomise le nomade, dans le
sens qu’elle lui permet de se tenir indépendamment de l’altérité
dans laquelle il se trouve. Dans le monde moderne, par exemple, la
voiture, le camion ou le camping car créent à peu près la même
autarcie nomade. Le fait d’être coupé du pays et de ses habitants
crée des tensions évidentes. On peut expliquer la croissance de
l’économie du tourisme en milieu rural par le fait qu’il faut qu'existe
une échange de bénéfice mutuelle – ce qui n’est pas le cas si
on voyage de manière autonome. Dans le cas des véhicules à moteur,
il se peut que le seul échange consiste en l’achat de carburant,
dans une station service appartenant à une entreprise exogène à
l’économie locale, celle-ci ayant cependant le fardeau
d’entretenir les routes et de nettoyer derrière ses visiteurs.
Par ces diverses mécanismes techniques, qui alourdissent le
voyageur, le coût du nomadisme devient exorbitant et il prend des
aspects plutôt colonialistes que nomades – c’est-à-dire qui
menacent la culture et la tissu physique du paysage humain et naturel
dans laquelle il voyage plutôt que de le complémenter.
La territorialisation – qui donne lieu aussi au repli
nationaliste ou régionaliste, aux castes et aux groupes sociaux,
donne un cadre chaque fois plus coûteux aux vies humaines, surtout
au niveau environnemental.
J’ai dit que le sédentarisme est une catégorie inventée, une
fiction. Ce qui se passe en réalité est que le nomadisme est
réservé de plus en plus aux élites, qui limitent de plus en plus
la liberté de mouvement des pauvres. «Comment cela?»
on est en droit de demander. «On est dans un monde qui brasse
plus que jamais, avec des moyens de transport qui nous ouvrent le
monde! Même les réfugiés bougent, et ils sont pauvres,
pas riches.»
D’accord. Tout le monde bouge. Mais ils bougent en cercles
fermées, dans leurs bulles, de plus en plus réduites, coupées de
l’altérité. Être sédentaire, avoir une maison primaire,
secondaire, une parcelle pour l’été à la campagne dans un
camping, une voiture pour se déplacer, c’est une mode de vie de
nomade qui se prétend sédentaire. La cité est avec soi, on
colonise.
Or, c’est au contraire l’accommodation à une niche durable
écologique qui permet de justifier le phénomène du nomadisme –
et comme je le maintiens, nous sommes tous nomades, et que dans la
mesure que nous réussissons à l’être, notre empreinte écologique
est vastement réduite. Cela vaut donc le coup de savoir vivre en
équilibre avec notre environnement.
Et puis, avec cette affirmation que nous sommes tous nomades,
jamais sédentaires, ce que j’essaie de mettre en évidence est
une double-vérité. D’abord que nous sommes tombés dans la
caricature de l’extrême ou au moins le clairement distinct de
nous-mêmes, lorsque nous essayons de caractériser la vie de nomade
– c’est pour cela que nous imaginons un nomade partout chez lui,
sans fixité, sans attaches. Dans la réalité, beaucoup d'entre nous faisons des
transhumances assez régulières, bien qu’adaptables, sur des
chemins connus. Nous pouvons, de cette manière, tout-à-fait
régulièrement basculer entre le nomadisme et la vie sur place.
Deuxième point. Il n’y a rien qui exclut la vie de nomade de la
critique écologique. En particulier on peut critiquer la mode de vie
de tout un pan de la société européenne et africaine qui,
accoutumée à la vie de berger qui bouge avec ses troupeaux, a
réduit des vastes tractes de notre territoire à des déserts par
sur-broutage, surtout autour de la méditerranée mais pas que - regardez l'histoire de l'abolition de la transmigration de moutons en Espagne, pour vous en informer.
Notre
élevage moderne est encore plus critiquable, mais trouve son assise dans des traditions très enracinées d’exploitation des ressources
naturelles qui ont déjà laissé leur empreinte catastrophique sur
notre paysage. Que les populations de l’Europe, du Moyen-Orient et
de l’Afrique du nord ait des gène adaptés pour faciliter la
digestion du lait à l’âge adulte indique que ce phénomène ne
date pas d’hier. Donc il y a à mettre en cause non seulement la
civilisation industrielle moderne, mais aussi les systèmes agricoles
et pastorales depuis l’aube du temps, en ce qui concerne l’humanité
dans sa relation avec la nature. Le système de clôture des champs
qui prend forme au cours du Moyen Age est aussi une manière de
limiter les dégâts des troupeaux, une mesure qui, dans son temps,
avait ses aspects écologiques positifs, même nécessaires. L’idée
des communs, si elle est poussé trop loin, n’a pas que ses aspects
positifs. Et du point de vu de n’importe quel pays à grande
population, il n’est pas conseillé de laisser la nature se
débrouiller toute seule – en toute probabilité elle échouera - et les chèvres prendront tout.
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mercredi 24 mars 2021
coordination
Il est difficile de ne pas pleurer face à l’inaptitude de l’organisation du radicalisme écologique. Il n’y a aucune signe de proposition de modèle radical.
Les gens doivent gagner leurs vies. Ils font partie d’une société d’hyperconsommation. Ils vivent dans une société de transport à outrance, de téléphonie à outrance, de subventions à outrance.
Par conséquence, ils adoptent tous, ou presque tous la position du coach, au bord du terrain, en train de demander aux joueurs de bien jouer – d’être radicaux. Eux, ils ne jouent pas. Nicolas Hulot vient de le dire (France Culture, mardi 23 mars 2021 21h). «Soyez radicaux» et après il a dit que lui, il ne se sentait pas en mesure de jouer.
En fait, il n’y a pas de joueurs. Il n’y a aucun pratiquant, que des coaches.
Tour d’horizon de l’activisme écologique, tel qu’il est présenté sur web et dans la presse
Notons d’abord les absences.
Il n’y a aucune proposition de transport à la campagne à finalité écologique net positive
Il n’y a aucune proposition de repeuplement à la campagne à finalité écologique net positive
Il n’y a aucune proposition de pédagogie écologique à finalité écologique net positive
Il n’y a aucune proposition d’économie écologique à finalité écologique net positive
Quand je dis «à la campagne» je parle, bien sûr, du monde du vivant dont on doit faire partie intégrante si l‘on veut sortir de ce merdier dans lequel on s’enfonce. La ville, le périurbain, tout fait partie de la campagne, des terres sur lesquelles on vie.
Quand je dis «à finalité écologique net positive», c’est une terme qui veut dire que cela propose quelque chose qui rentre dans les clous, comme système, comme infrastructure. Pas demain, aujourd’hui. Les clous, c’est vers 5 fois moins d’énergie consommée en moyenne par personne, par an, et tout de suite. Les clous, c’est faire revivre la biodiversité et la couverture végétale, partout, tout en faisant de quoi vivre, pour nous. Et les clous, c’est de le faire assez rapidement et de manière suffisamment généralisée pour que ça vaille … plus qu’un clou.
Le seul avantage qu’on a, c’est qu’on se rend compte de notre totale incompétence administrative et gouvernementale, vu la série d’erreurs commises par rapport au virus. Normalement cela nous rend un peu réceptifs lorsque des propositions nouvelles existent.
Ce qui es sûr c’est que ce n’est pas en restant chez soi qu’on va s’en sortir. Mais bizarrement, c’est surtout cela qui nous est demandé, même par les organismes supposés être à la pointe de l’action. Pour bouger, pour agir, il faut de l’infrastructure, si ce n’est que pour manger et pour dormir – mais il n’y a aucune trace, dans les sites que je viens de consulter, d’une pensée logistique à la mesure. Même les actions supposées être les plus «activistes», les ZADs, ont toujours dépendu de la voiture pour amener les militants et leurs provisions – de ce fait la majorité d’activistes ont été subventionnés, d’une manière ou d’autre, par l’état – sur le dos des énergies fossiles, industrielles, nucléaires. Dans ce sens, on est toujours resté dans le purement symbolique. Dans la vraie vie, nous sommes des industriels qui n’avons même pas le temps de faire de l’écologie d’abord – et non pas après le boulot de merde.
Ici-bas les sites consultés. Au lecteur potentiel – vous pourriez leur signaler qu’il faut faire quelque chose de tangible! Je sais que ma critique peut paraître très dure, mais ce qui saute aux yeux, c’est que les outils réels ne sont pas là. D’abord, l’argent public n’est jamais là – il est mangé par l’industriel, ses exigences sont industrielles. Il ne faut pas compter dessus. Il s’ensuit qu’on cherche à faire autrement, sans ou avec très peu d’argent. Il faut donc créer de l’infrastructure soi-même – simplement pour établir des tailles
critiques de groupes de gens compétents et qui travaillent à temps plein. Le reste du site que je crée là est dédié à expliquer comment faire – comment avoir les outils pour ce faire. Je ne serais pas si emphatique si je ne l’avais pas déjà fait – si je ne m’étais pas déjà adressé, physiquement et intellectuellement surtout aux problèmes de l’infrastructure humaine.
https://alternatiba.eu/
https://reco-occitanie.org/
https://www.transilab.org/
https://extinctionrebellion.fr/
https://ecologuesenrages.home.blog/
https://atecopol.hypotheses.org/
https://www.ensat.fr/fr/recherche/laboratoires-de-recherche/laboratoire-ecologie-fonctionnelle-et-environnement.html
https://www.eco.omp.eu/axe/projet-structurant-sciences-citoyennes/
https://eelvtoulouse.fr/
https://tethys2021.sciencesconf.org/
https://sciencescitoyennes.org/
https://decidim.sciencescitoyennes.ovh/
La première chose à noter est que ces sites utilisent des
cookies – qu’il n’est pas possible de les visiter ou
d’interagir en tant que simple membre du public, surtout pas en
anonyme. Il faut devenir membre ou donner son courriel. Ces sites
sont donc en faveur du traçage – qui induit bien sûr un rapport
de force très défavorable à l’individu, très favorable à la
supra-organisation. Chaque site, de sa façon, mais en réalité de
manière assez similaire, suit les codes de «réussite»
de l’entreprise capitalo-colonialiste, un peu comme Greenpeace. Il
est parfaitement compréhensible, si la situation n’était pas si
grave, que chaque entité, chaque cohérence, chaque groupe cherche à
se renforcer, mais le problème est que cela reste donc un jeu de
pouvoir paroissial, qui ne contient pas de recette pour un vrai
mouvement consensuel de masse. Or, cela laisse la porte béante pour
tout dictateur qui vient, dès qu’on accumule un peu de succès. Ce
n’est donc pas un modèle logistique viable. Cela ne respecte même
pas l’intelligence qui a donné naissance aux logiciels libres et
plus spécifiquement au GPL (General Public Licence).
Il est difficile de cerner l’étendue géographique ou la vraie
nature des individus ou des groupes qui déterminent le contenu des
sites – eux, ils préfèrent rester sémi-incognitos. On peut
regarder les dates des articles, pour noter qu’il y a des pics
d’activité et des périodes, de mois ou d’années, où il n’y
a presque pas d’activité sur les sites. Ceci peut mener à la
supposition ou qu’il y a peu de gens vraiment actifs dans les
organisations concernées, ou bien que les sites sont plutôt là
pour faire de la pub, le recrutement et l’acquisition d’argent
que pour des raisons fonctionnelles. D’ailleurs la mise en évidence
des fils tweeter, etc. laisse supposer que tout dépendra des
institutions existantes qui nous écrasent notre capacité de nous
organiser nous-mêmes. Cette dernière idée reste nébuleuse, une
(vaine) aspiration rhétorique, dans les écrits sur ces sites.
Bref, ils utilisent des techniques typiques des GAFFAMs où on n’a
pas le choix, il faut accepter d’être pisté, technologiquement.
Pour arriver à une vraie entente avec des co-travailleurs, ce genre
de cadre prend des années, ou disparaît lorsque le peu de gens
soudés trouve autre chose à faire.
Le site des scientifiques a une version premium, qui n’est
ouvert qu’aux institutions et à travers les institutions, donc il
ne casse aucune norme institutionnelle de l’élitisme. Les
scientifiques font partie, en réalité, d’une plateforme réservée
à certains secteurs de la science, dans ce cas les sciences
sociales. Il n’y a que la rhétorique qui est inclusive. Cependant,
ils paraissent ouverts aux partenariats.
Une analyse générale arrive donc vite à certaines conclusions.
Il est très difficile de devenir activiste utile dans des tels
cadre, puisqu’il n’y a rien à y faire – mais d’autres
cadres, il n’y a pas trace. Le mieux qu’on puisse espérer est de
se présenter lors des rassemblements d’un après-midi autour des
événements clé – des manifs, des colloques, où on risque, mais
tout à fait par hasard et non pas par dessein, de tomber sur
d’autres gens marginaux avec lesquels on pourrait collaborer. Plus
ça change, … D’ailleurs, je me sens de plus en plus
inconfortable de critiques réflexives sur les sites, en anglais on
dit «pot calls kettle black».
Les événements seraient purement symboliques – puisqu’il n’y
a pas de propositions concrètes qui permettent de maintenir des
actions soutenues. Ceci s’expliquerait de manière assez logique.
Ceux qui sont à l’origine des sites travaillent – ils ne sont
activistes qu’à temps très partiel. Les sites web et le niveau
d’activité dans leurs groupes est ajusté à leur convenance –
ils n’ont pas beaucoup de temps disponible, il n’y a pas beaucoup
d’actions soutenues. J’exempte une seule initiative de cette
tendance:
https://reco-occitanie.org/project/transilience/
Lea Sebastien du laboratoire Geode à Toulouse a le projet de
cartographier des projets de transition, débloquer, encourager la
participation, développer les outils, y inclus dans les
territoires. On suppose qu’elle est financée. Cela aurait l’effet,
si c’était bien fait et à disposition du public, de permettre une
participation généralisée et soutenue. Cependant, sans
infrastructure frugale, ce ne serait qu’un premier pas envers un
bilan écologique net positif. Si les outils réalisés ne sont que
numériques, et non pas infrastructurels, cela ne peut pas marcher
non plus – l’empreinte carbone et écologique serait trop grande.
Pendant ma journée de travail sur l’identification de
potentiels partenaires pour faire des actions de création
d’infrastructure vraiment écologique dans ma région, j’ai aussi
passé du temps à bouquiner les seuls livres disponibles sur le
sujet dans la bibliothèque publique locale. Je tombe en général
sur des livres des années 2000 de gens qui se sont fait un nom dans
les années 1970-1990, grâce à leur capacité de produire beaucoup
d’écriture. Pas d’évidence, donc, que les bibliothécaires
apprécient vraiment leur rôle de donner des livres de qualité au
public le plus démuni – il nous faut des livres de 2016 à 2021.
Jean-Marie Pelt, La Fondation Nicolas Hulot, Bernard Maris, etc.
C’est un très petit monde, mais qui a beaucoup, beaucoup voyagé.
Chacun parle de son sujet, souvent à l’exclusion de tout autre.
Dans leur cas l’empirique devient maladif. Ils ont fait
l’inverse de vivre des vies frugales au niveau du dépens de
carburants à effet de serre. Ils ont en effet profité à outrance
du système qu’il critiquent, pour enrichir leurs vies
personnelles. Leur sujet n’a jamais été leur empreinte carbone
personnelle, ni de penser sérieusement à comment cela pouvait se
faire pour tout le monde, au niveau de l’infrastructure.
De nouveau, je dois exempter Edgar Morin de cette critique, mais
seulement en partie. Dans «La Voie pour l’Avenir de
l’Humanité» (2011) il a une magnifique chapitre qui liste
des problèmes et des solutions «agriculture et campagne»,
du haut de ses 90 ans. Quels sont les outils politiques de ces
solutions, quelle est la «forme» de leur mise en
œuvre? C’est ici, de nouveau, qu’il y a défaillance.
L’analyse est statique, il suppose de multiples alliances de
gentilles associations, chaque fois plus improbables, de petits
paysans et de pays philanthropes. Ce n’est pas comme ça qu’on a
créé, du néant, la société «toute voiture» et ce
n’est pas comme ça qu’on va développer une volonté politique
pratique.
Ce serait mieux, n’est-ce pas, qu’un système naissant puisse
convertir les gens, très rapidement, parce qu’ils y voient
vraiment leur intérêt- qu’il ait de la logique en étant
puissant, plus puissant que les forces qui l’opposent? Edgar Morin
aurait pu mentionner que c’est au Portugal que le dictateur Salazar
a su parler au peuple en faisant pousser des arbres fruitiers le long
des routes pendant qu’en France on les arrachait pour mieux faire
pousser des arbres d’argent. Que le centre du Portugal est
aujourd’hui envahi par des riches d’ailleurs (classe moyenne qui
ne s’en rend même pas compte), et que même si certains de ces
riches cherchent des modes de vie soutenables, tous, à peu près,
utilisent des voitures – c’est leur «culture». Il
faut déjà que les gens de pouvoir reconnaissent leurs erreurs et
pas seulement les erreurs des autres – il faut que «la
vérité s’invite chez eux». Pour le moment, la campagne
devient un lieu de retranchement pour les nantis et les mouroirs des
pauvres se préparent autour des grandes villes.
A la fin de la journée, j’écoute le téléphone sonne, c’est interclasse, où on explique aux ados des banlieues pauvres comment écouter la radio public pour avoir des informations fiables, plutôt que d’aller sur réseaux sociaux pour avoir des fake news.
Personnellement, je dirais que ce qui fait le bonheur du fake news, c’est la malhonnêteté des médias de masse comme France Inter. Presque sans faille, les pourvoyeurs de fake news identifient les failles réelles dans les rapportages des relais historiques et des biens pensants, un peu de la manière que je fais là. Comme la situation présente est d’une illogique totale, il se sentent ensuite légitimes pour dire n’importe quoi eux-mêmes. Un ado … doit avoir des vrais problèmes, vu qu’il ne peut croire ni l’un, ni l’autre, ... vu qu’il n’y a pas d’autorité fiable. Ce n’est vraiment pas suffisant de dire «démmerdes-toi, prends plusieurs sources.» On vie quand même dans un pays où on dit depuis 12 mois «confinez-vous» et depuis quelques jours «confinez-vous dehors». C’est un peu comme apprendre que «Tous les animaux sont égaux» et puis de voir ajouté « mais certains animaux sont plus égaux que d’autres» un beau jour.
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mardi 16 mars 2021
Une vie de John Muir
C'est une hagiographie, cette vie péremptoire de John Muir (1838-1914). Il y a apparemment besoin de saints écologiques – on les façonne sur mesure.
Je parle de J'aurais pu devenir millionnaire j'ai choisi d'être vagabond (2020) par Alexis Jenni.
C'est important de dire par qui cela a été écrit, on a beaucoup de mal à savoir qui dit quoi, qui invente quoi. C'est dommage.
Le Sierra Club (sauveur des sequoias) a été initié par John Muir. C'est le club californien des conservateurs de la nature. L'une des raisons que je ne sais pas beaucoup sur lui à la fin du livre, c'est qu'à la fin du livre Jenni explique, de manière gentille et condescendante, que les coûts cachés de la destruction de la nature sont loin de la pensée de Muir, puisque la science et la pensée politique écologiques ne sont pas encore développées (p206).
Plus loin Jenni explique, de nouveau, que «Comme j'ai étudié les sciences, [...] je sais très bien que la nature vivante fonctionne très bien toute seule, c'est de la physique un peu complexe, nul besoin de l'âme pour rendre compte de la photosynthèse.» (p212)
Mais, quelle vraie ânerie. La nature vivante, apprenante, enthousiaste, lasse, émotive, résignée, n'a pas besoin d'état d'âme ?!
Non, mais c'est terrible. Si la science du vivant d'Alexis Jenni (né 1963) nous a appris une seule chose, c'est qu'il y a des très, très bonnes raisons pour comprendre que le vivant n'est aucunement juste une question «de la physique un peu complexe» et que la motivation y compte surtout.
Au contraire, de nouveau, de ce qu'écrit Jenni, nos ancêtres étaient pleinement conscients, surtout en Écosse, surtout dans les terres de parler gaélique (la langue maternelle de Muir), des possibilités de destruction écologique et de leurs conséquences pour nous tous. L'émigration envers «la terre promise» de l'Amérique était massive, surtout la où on a expulsé les pauvres de leurs jardins et de leurs terrains.
Pour dire, le livre est incroyablement superficiel, peut-être n'est-il même pas révisé et que les sections que je cite ont été écrits tard une nuit sans réfléchir, pour ensuite être envoyés à l'éditeur. Le titre manque également de subtilité – mais c'est sans doute très «vendeur». Les cultes de la personnalité sont très vendeurs. L'auteur, qui cherche systématiquement à s'identifier avec John Muir, s'y reconnaît : «Je me souviens de la merveilleuse étrangeté du virement bancaire bien réel que l'on m'a fait pour le premier article que j'ai vendu.» (p193) Le texte est bourré de ces petites failles de vérité ostensible, des lapsus intentionnés, de la manière «à l'arrache» de celui qui n'a non plus la patience de transcrire et bien travailler ses carnets de notes, John Muir.
Mais nous, êtres humains aujourd'hui, n'avons-nous pas besoin de nous rassembler un peu, en toute humilité ? Des gens comme John Muir ont essayé de trouver une parade à ce qu'ils voyaient venir, de témoins ils sont devenus décideurs. On est toujours susceptible à la flagornerie, si on est timide.
Nous y sommes, dans la catastrophe pressentie. Ils n'ont aucunement réussi. Les tentatives de créer des zones de protection de la nature n'ont aucunement réussi. Les gens, étant encore plus séparés de la nature par des telles politiques, sont encouragés à s'émerveiller de la beauté de la nature, sans jamais y vivre vraiment (on voit que John Muir est boulimique, il reste à la nature jusqu'à l'épuisement et puis il tombe sur un «sauveur» de dernier recours avec fréquence; lorsqu'il «travaille», c'est à la ferme ou comme écrivain, d'ailleurs il s'en fout apparemment des êtres humains qui y passent leurs vies, à la nature).
Est-ce que je suis vraiment dans un pays de démocratie humaniste, ou dans un genre de «misery-corde» sans espoir de l'extrême droite ? C'est à ces époques-là (fin dix-neuvième siècle) que les mouvements pseudo-intellectuels eugénistes étaient en train de se définir. De nos jours, la pub continue – on projète à l'avant de la scène des gens vachement sympas (style Nicholas Hulot) pour «vendre» la Nature.
Cela n'a pas marché. Si je ne peux pas en vouloir trop à Nicholas Hulot, c'est qu'il a eu le culot de démissionner – et l'honnêteté intellectuelle.
Pendant que j'écris, j'écoute l'émission radio d'écologie de la semaine (France Culture). De quoi parlent-t-ils ? D'interdire la pub pour les entreprises polluantes. Mais c'est qui qui passe les pubs des pollueurs en chef, c'est la maison de la radio ! Personne n'y croit, aux pubs, d'ailleurs, ils croient à l'existence des pubs, pas aux pubs elles-mêmes. Elles sont juste là comme un service religieux, pour prétendre que ces norme sociales d'hyperconsommation existent encore – comme un genre de brimade cachée.
Personne n'y croit, à la régulation. Personne n'y croit, à ce dont ils parlent. De remplir les ondes avec ces sujets est en soi une grosse perte de temps, une manière de saper l'écologie. L'émission principale sur l'écologie de France Culture est devenue inconséquente. On va voter une foutaise de gueule du conseil citoyen au parlement, elle fait parler de la pub. Qui décide de laisser cette émission continuer comme ça ?
Maintenant ils parlent de «la valeur d'usage», qu'on n'a pas besoin de «posséder» des choses. Les GAFFA … si j'étais de l'entreprise «Intel», je ferais cramer les centrales «cloud» de données. Comme ça, les gens, ils achèteraient plus de clés USB. Je ferais que les gens soient piratés par des ransomwares, comme ça ils achèteraient les versions payantes «premium» des antivirus.
La publicité, c'est les journalistes qui la produisent maintenant. Greenpeace est leur meilleur publiciste. L'industrie des plastiques continue d'en produire autant – pour nous envelopper tout ce que nous touchons en plastique, en emballage. Pour les hôpitaux, pour les repas, pour la viande bio. La pub vend la menace et le chantage.
La publicité est devenue un grand ours menaçant. Ce n'est plus du tout une question d'hyperconsommation. Regardons un peu les affiches «publicitaires» de la deuxième guerre mondiale pour comprendre à quoi ça sert – ce sont des «mots d'ordre». Personne n'y croit.
Et Radio Paris continue d'émettre sa propagande, sans ironie. Tout est codé. C'est une préparation pour l'autoritaire à venir, déjà là de fait.
J'aurais voulu faire une belle exposition des erreurs des parcs régionaux naturels. Pour les anglais, le figurant de proue est, ou était, David Attenborough, pour les émissions monde naturel BBC. Donc World Wildlife Fund (WWF), développement durable, conservation conservation, conservation de la nature.
On pense aux années 1960, en Angleterre, pour retrouver cette pensée-là, elle est vieillotte. Mais elle est très difficile à éradiquer, force est de le constater. Ce que les «gens qui parlent» ne veulent pas voir, c'est que vous ne pouvez pas mettre des gens devant le choix «vos enfants ou les animaux».
Les parcs régionaux en France, les «réserves» - ce sont des endroits où vivent les riches, quand ils ne sont pas à Paris. Le bétail détruit la nature, mais justifie les vastes étendues de pelouse sans habitat humain partout. Les tracteurs permettent qu'il y ait encore moins d'humains dans les réserves, les voitures et les 4x4 permettent que les touristes, les naturalistes et les chasseurs rentrent chez eux sans y séjourner.
Les riches habitent les gîtes où ils invitent les riches. Ils y votent.
De ce fait, les «parcs naturels» sont peut-être les plus menacés de mort de la biodiversité qui soit. Tout se fait par machine : les tondeuses, les faucheuses, les moissonneuses, les tronçonneuses, pas de communauté humaine de taille. Aucune réussite de vie dans la nature, les normes administratives l'interdisent, les riches l'interdisent, leurs représentants politiques l'interdisent. Pour ceux qui viennent, ils croient avoir trouvé «la vie rurale.» En fait, ils n'ont retrouvé que la vie industrielle d'intensité maximale - les empreintes énergiques et écologiques des habitants de la campagne sont réellement ahurissantes, jusqu'à des dizaines de fois plus élevées qu'en ville.
L'alternatif est là. Accepter que l'être humain fait partie de la nature, pas du monde artificiel. Mais pour cela, la femme de John Muir doit elle-même décider de venir vivre avec leurs enfants sous un toit de branchage, en hiver. Il faut casser le mythe du frontiersman à tout jamais. La mode de la modernité est un mythe aussi – c'était juste une époque transitoire.
Nos techniques, comme notre pollution et nos industries désuètes, nous donnent des décennies de quoi vivre, décemment, pendant que nous réapprenons à faire partie de la nature. Les mythes des adorateurs de la nature qui, tout en étant botanistes comme John Muir, ne savent même pas s'en nourrir, qui ne veulent que s'extasier devant, sont des mythes nourris du monde riche. Par exemple, au Pérou, tu ne bâtis pas une maison pour toi et ta famille en pleine cambrousse, c'est vraiment trop dangereux. Il y a des bandits. Non. Tu vies avec d'autres gens. Tu vies en bon rapport avec les communautés autours, tu n'es pas «téléporté» de loin.
Tu ne vies pas du bétail non plus – le bétail, il bouge, avec ses intendants, les bergers, les vachers. Ils ne broutent pas tout, il y a des vergers, il y a des potagers, il y a des étangs où il y a du poisson. C'est pour cela qu'il y a des bergers, pas des clôtures. Il y a des forêts avec des vieux arbres qui ne sont jamais coupés. Et dans ce genre de paysage, on peut faire vivre de dix à vingt fois plus de monde qu'actuellement. Ils n'ont pas de voitures, ils ne vivent pas dans des passoires thermiques, ils ne mangent pas des aliments de base qui viennent de loin – il y a déjà besoin de trois quarts moins de revenu. Ce revenu, en réalité, il allait aux riches, pour fournir leurs vies d'hyperconsommation, les voitures sont déjà «hors-prix» pour la plupart d'entre nous.
Nous vivons, nous les plus pauvres, dans les banlieues accrochés aux grandes villes – la campagne nous est devenue trop chère. Ne laissons donc pas la campagne aux riches, ne croyons pas aux mythes des riches qui nous concentrent dans chaque fois moins de territoire, jusqu'à ce que eux, ils comptent en hectares ce que nous comptons en mètres carrées (une famille d'exploitants agricoles, 50ha, une famille de banlieue HLM, 50m²).
Pour une famille, pour vivre, il faut à peu près 2,500m² à 1 hectare de potagers, de vergers, de basse-cour. Elle y vie aussi, la famille. Démystifions les mythes. Ces 2,500m² peuvent être des endroits qui pullulent de biodiversité et de beauté. Rien à voir avec 2,500m² de prairie piétinée par les vaches, entourée de fil électrique. Beaucoup plus productif que cela, pour à peu près zéro énergie fossile, zéro effet net à gazes de serre.
Chaque fois que quelqu'un comme Alexis Jenni loue quelqu'un comme John Muir au ciel, pendant qu'il décrit comme des vermines la racaille humaine inculte qui envahit et détruit cette nature, il promulgue une doctrine des riches et éduqués compétents - amateurs de la nature ; pauvres stupides - destructeurs de la nature. Mais les plus «pauvres» étaient déjà là, à l'arrivée des européens, ils vivaient dans la nature que les européens ont ensuite détruite. Ils y vivaient à des centaines de milliers, avant l'arrivée de gens comme Muir. En plus, Muir est venu avec le troupeau de moutons – il en vie, de ce qu'il décrie. La nature n'était ni vierge, ni sauvage, les êtres humains étaient bien là avant que n'arrivent les européens. Les européens eux-mêmes étaient souvent très pauvres, déplacés par l'industrialisation et l'enrichissement de leurs propres pays.
Autour de moi, je ne vois que des riches en train de détruire la nature. Les pauvres, ils n'ont en même pas – ils sont sous le diktat de ces mêmes riches - ils veulent devenir assez riches eux-mêmes pour ne plus être au diktat des riches. Les riches préfèrent utiliser des machines pour travailler aussi peu nombreux que possible – ils gardent plus de richesse comme cela – et les machines les obéissent.
Partout, la végétation est fauchée, presque au ras de sol. Les pauvres, qui n'ont pas d'argent pour les machines et qui veulent bien gagner leur pain, préfèrent travailler ensemble. Qui est vraiment plus écologique ? Qui vie mieux ?
Il serait donc intéressant d’étendre ces liens à la population ouvrière – que les actifs désœuvrés en ville trouvent du travail écologique dans la campagne. La logique de la situation écologique, économique et politique est telle que cela est devenue presque inévitable. Tenir une politique socialement responsable, c'est en tenir compte. Pas pour inviter les gens à couper les forêts, cette fois, mais pour les régénerer et y vivre.
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mardi 9 mars 2021
reconquis
revue et propositions : Reconquête – au nom de l'intérêt général (2020), Aurore Lalucq, député socialiste européenne
C'est un petit livre – 100 pages, qui donne l'impression d'avoir été écrit hâtivement, peut-être dans le train ou après des séances au parlement européen, dans un certain état d'exaltation de la parole, avec les présuppositions « socialistes » qui font encore jour au niveau de l'Europe, si en France ou en Angleterre on est déjà passé à autre chose.
Les paroles et la politique de Jean Monnet, dans l'immédiat après-guerre 1939-45, exprimant le besoin d'avoir le peuple et les corps sociaux pleinement investis dans des projets de longue haleine, d'investissement dans l'infrastructure, sont récupérées pour une application de nos jours dans la « transition » écologique. D'autres lumières, connues surtout des socialistes, sont mis en avant, un tel Hyman Minsky (1919-1996) qui a proposé que lors de crises il faut embaucher tout le monde au salaire minimum.
On le veut bien, on ne dit pas non. Le problème étant que la version « moderne » de cette idée pourtant simple, est d'embaucher les gens à un, deux ou trois jours par semaine dans des contrats très limités et surtout qui ne donnent pas de quoi vivre, au gré du fonctionnaire qui le décide, sur des travaux qui ne font qu'intensifier la crise écologique. Ce n'est pas la parole d'une écologiste motivée à Strasbourg qui va changer la donne. L'administration est devenue plus forte que la loi - elle fait ses propres lois, en fait.
Si l'on veut isoler les raisons pour lesquels Jean Monnet a cru possible d'embaucher les gens de bonne volonté sur des travaux d'intérêt général, c'est que la guerre les a habitué a participer à des efforts coordonnés de grande échelle, dans un esprit foncièrement nationaliste, que la galère les a fortement motivés à s'en sortir et que les traditions socio-coopératives de l'époque étaient non seulement la norme mais aussi les techniques progressistes politiques que l'on croyait être de l'avenir. Il suffisait d'arroser le sol fertile avec de l'argent hélicoptère pour que tous les petits chefs du coin se mettent au travail, avec les bons vœux et l'engagement résolu de leurs concitoyens, ou dans le cas obstant, le désir prononcé de s'ammiler à la masse pour mieux passer inaperçus.
En 2021, le tableau n'est pas le même. Notre mot d'ordre dans ce combat mortel est de rester chez nous totalement démobilisés jusqu'à nouvel ordre. Les seuls projets, très amorphes et difficile à lire, qui nous sont offerts sont dans la rénovation thermique (qui paraît plutôt une autre usine à gaz pour les profiteurs) et la mise à jour numérique. Comme projets mobilisateurs du peuple, il manque une petite quelque chose pour capter l'imagination. Aller faire des jardins ci et là, tuer quelques bovins pour la forme, ce n'est pas garanti d'enthousiasmer les masses non plus. Pour entreprendre les changements radicaux de modèle proposés, il y a besoin de mettre les gens en immersion dans un monde où les rapports avec la nature et avec leurs frères et soeurs ont un sens pour eux, individuellement et collectivement - avant de leur proposer des gestes de bâton magique qui contredisent leurs vérités culturelles. Je fais un tour de projets potentiels plus bas dans cet écrit.
De surplus, l'idée même de mettre notre destin dans les mains d'une classe de fonctionnaires, de prétendus entrepreneurs d'entreprise zombie, de petits caïds et de grands brimeurs qui nous ont déjà mené une vie d'enfer ces dernières années, sans jamais chercher à promouvoir l'action écologique réelle, est un peu improbable comme motivateur du peuple. Ils s'en foutent de ce qu'on dit à Bruxelles. Le seul atout de Macron, en fait, c'est qu'il n'était peut-être pas intégré, d'apparence, aux groupes politiques existants, connus et déplorés – une notion dont on est maintenant totalement désabusé – l'élite, on le comprend, c'est tout le monde d'en haut – c'est un cartel, à chaque échelle, où qu'on cherche. Il faut se réformer, se détacher très visiblement de cette perception, pour que chaque tentative de créer d'autres réalités ne s'enlise.
Les preuves d'amour faits au combat dans la deuxième guerre mondiale manquent, de nos jours, dans ceux qui prétendent être les premiers de cordée dans un monde futur. Il y a surtout des preuves de trac du peuple – de peur que « ça déborde ». Il faut aller à l'avant, dans le peuple, avec le peuple. La solidarité à la française qui nécessite une sorte de subordination à chaque échelle à une personnalité dominante crée un genre de retrait de la vie publique de ceux qui n'acceptent pas ces trames de dominance. De ce fait la solidarité se fait surtout chez soi dans l'entre-nous, c'est-à-dire, pas du tout. Cette « boude » nationale fait que lorsqu'il faut agir, les pôles d'attraction théorique servent plutôt de repoussoirs. D'ailleurs, dans ces classes-là, on se méfie des « casse-pieds ». L'innovation n'est pas bien venue. Cela se fait déjà, apparemment, il y a une assoc. pour cela. Étant donné que la Covid a poussé ce désengagement politique et publique aux limites de l'absurde, il est vrai qu'on ne peut que remonter la pente. Mais cela est un constat, ce n'est pas une volonté, encore moins un passage à l'acte.
Des solutions, il y en a, mais même l'expression « solutions écologiques » a mauvais renom, tellement il y a eu de fausses solutions promues. C'est un peu comme chercher quelque chose sur Google, il faut tous les efforts possibles pour trier entre les informations totalement bidons et les cookies qui ne cherchent qu'à vous orienter vers leurs produits. Pour s'en échapper, il y a les services « premium » - c'est-à-dire des vrais services, mais payants, sans pub, ou on a fait l'effort de pré-trier l'information pour qu'elle soit pertinente. Même le Wikipédia devient une enceinte pour les protocolaires intriqués. On rève d'un bon dictionnaire en papier où au moins on n'a pas à se demander si c'est de l'information à peu près sûre.
La solution de base, face à ces contradictions, n'est pas tant d'arroser les gens avec de l'argent, (pour payer à ceux qui nous torturent ?! ) mais de faire que les gens sortent, qu'ils se déplacent physiquement et qu'ils se rencontrent physiquement, qu'ils fassent des choses écologiquement cohérentes ensemble, sans machines – surtout pas de débroussailleuses ou de voitures. Comme ça, c'est clair. L'un des projets pourrait être d'aller cueillir des légumes et préparer à manger, pour ensuite manger ensemble. Cela permet déjà d'établir les potentielles preuves d'amour qui, sinon, n'appartiennent qu'aux logiciels payants. Ces projets pourraient être menés par des chefs et des cuisiniers « des professionnels de la filière restauration » (j'interprète pour les malentendants qui ne parlent plus le français) qui sont, d'après tout, les plus affligés par le confinement et le couvre-feu et les plus motivés pour s'en sortir.
Rappelons-nous que la contagiosité covid est de l'ordre de 80% à l'intérieur en endroit clos, 15% à l'intérieur, mais bien ventilé, et 5% à l'extérieur (France Inter, Matinale, 17.3.21). Normalement, les fonctionnaires, les professeurs, les universitaires et les autres devraient être en train de montrer l'exemple en travaillant dehors, en bougeant à pied et à vélo, en mangeant ensemble dehors et en mettant à disposition du public des ordinateurs portables, des prises de courant et des hotspots - dehors.
La deuxième solution est que les gens qui sont sortis, qui ont mangé ensemble, qui ont réussi dans ces tâches élémentaires, commencent à proposer des solutions pragmatiques dans la même veine – le transport aux marchés des produits locaux dont ils se sont déjà renseignés et servis pour manger ensemble – ils savent donc où il se trouvent, ils peuvent eux-mêmes aller les chercher, ils n'ont pas besoin d'argent pour le transport, juste un peu de coordination et de contact humain avec des vrais gens. A ce moment-là, les « preuves d'amour » de l'administration seraient de ne pas les entraver les pas – même de leur ouvrir le chemin, dans le meilleur possible des mondes. Ces gens payés pour agir dans l'intérêt général pourraient par exemple mettre à la disposition des populations des lieux publics mais dans l'état ... vides, pour faciliter les déplacements, comme s'ils étaient dans un élan d'accueil. Tout cela se ferait sans machines – sans transport motorisé. Ceci démontrerait au moins que l'argent – et surtout l'effort public est en train d'être investi non pas dans les machines, mais dans les gens et dans leur milieu naturel.
Pour suivre donc dans les traces de Jean Monnet, on aura atteint le premier critère de succès potentiel, la motivation et non pas la motorisation d'au moins un secteur du peuple et la croyance que c'est possible, parce qu'on l'a fait. De lancer une telle initiative à partir des corps sociaux intermédiaires existants, y inclus les associations et les ONGs, ce serait déjà de se vouer à l'échec, tellement y en a ras le bol. Ces organismes doivent venir en appui – le monde administratif est encore tel qu'il est, et cela ne change pas du jour au lendemain, on le sait, mais (désolé de le dire) ceux qui sont les mieux placés pour mener de telles initiatives, ce sont les gens qui apprécient la bonne bouffe, qui sont déjà habitués à travailler en équipe, dans des cadres sociaux conviviaux. Des chefs qui ont des raisons d'être des chefs. Des « apolitiques » qui, en réalité, ne font que de la politique, mais pointue – qui n'est autre que le social, l'économie ménagère, l'accueil.
Il faudrait, par contre, à tout coût éviter de mettre dans des positions décisionnaires des spécialistes de l'administration, surtout les économistes, les financiers, les techniciens de l'informatique. C'est un cercle vicieux sinon. De mettre des gens qui ont démontré incontestablement leur coupure du monde physique – qui est celui qui nous fait jouir, prendre plaisir à la vie – dans des positions de pouvoir auxquels leur conditionnement et leur socialisation ne les ont aucunement formées serait un gros faux pas. Ils n'ont tout simplement pas les compétences nécessaires. Si on veut un monde ou il est plus important d'avoir le papier (ou le dossier, ou le cahier de charges, numérisés bien sûr) que le savoir faire de travailler physiquement avec les gens, on n'a qu'à continuer comme ça. Même dans les métiers de la restauration, il y a ceux qui prennent un sac scellé de patates déjà découpées par des machines pour les jeter dans un bac d'huile préchauffé au nucléaire, avec de la viande reconstituée venant de pays étranger comme base. Dans la restauration de l'état et les distributions aux pauvres c'est encore pire - tout est ensuite rescellé dans des conteneurs en plastique jetable individuels pour être rechauffé ensuite - comment veut-on être pris au sérieux quand c'est l'état même qui est le plus grand malfaiteur!? Mais il existe en France encore, de manière transgénérationnelle, une certaine fierté et savoir faire gastronomique, qu'il suffit de fusionner avec des critères écologiques pour réinstaurer un pôle d'attraction qui vaille, basé sur le réel, qui parle aux gens. Il n'y a pas que les Etats Unis qui sont en avance sur nous en termes de développement social (?). Il y a, dans ces domaines de la convivialité, les italiens, même certains espagols.
Ce qui est paradoxal, comme avec toute initiative sincère écologique, c'est que ce genre de cuisine populaire n'a pas vraiment besoin de subvention – il est plutôt générateur d'emploi réel et il utilise plutôt des ressources déjà existantes de manière intelligente et coordonnée. Il encourage le « made in France » - mais vraiment, alors qu'en général le "made in France" consiste en choses faites avec de l'argent et les matériaux premiers piqués des gens qui vivent ailleurs et qui travaillent pour des salaires de misère. Le problème avec cette mesure style : "solution de la singularité écologique" est que justement, il ne consomme pas beaucoup de ressources – la décision de ne pas utiliser des voitures est déjà énorme dans ce sens – et qu'il n'augmente donc pas la PIB – l'outil qui permet à la France de maintenir la confiance des institutions financières dans sa « solvabilité » - sa capacité de payer les dettes qui sont à peu près le seul outil qui reste au gouvernement pour maintenir la société à flot. Mais tant pis, on fera avec - il faut commencer quelque part, et anticiper un peu la probabilité de dislocation, paupérisation et extrèmisation de la vie de "la personne lambda" dans le proche-avenir. C'est vraiment le moins qu'on puisse faire, si on est un responsable politique même un petit peu renseignée sur l'actualité des lambdéens.
C'est aussi pour cette raison qu'il ne faut pas commencer, pour ce genre d'initiative, par rentrer dans le cadre décisionnel habituel – qu'on cherche à sortir les gens de leurs bureaux et de leurs voitures pour les mettre dans des conditions d'association humaine à peu près décentes, de nouveau. Je sais que ce n'est pas facile de mettre des lions qui ont passé toutes leurs vies en captivité à la nature, mais nous sommes supposés être plus "adaptables" que les lions. On y va.
Les habitudes de l'époque industrielle sont collantes. Les habitudes de la visioconférence aussi. Elles le sont d'autant plus qu'il y a l'inertie du non-bouger, d'être contraint dans son espace personnel et sécurisé. Il faut de l'intelligence sociale pour inventer – ou remettre en valeur - des cadres sociaux qui mènent à l'engagement avec l'altérité, multigénérationnels, chaleureux, décontractés, non-exclusifs, basés sur l'ici maintenant. Soyons rassurés que tout le monde, maintenant, a compris que c'est surtout ces groupes supposément hermétiques qui ont fait passer le virus, partout où ils volent, aux classes pauvres qui n'ont pas bougé. On sait qu'ils savent faire des garden parties dans l'entre-soi pour ensuite aller serrer la main du peuple devant les caméras - sinon comment auraient-t-ils pu transmettre le virus? On apprend, sans grand étonnement, que c'est en famille que cela se transmet. Le problème est d'inclure tout le monde, d'en faire une mode accessible. A vrai dire, l'espace publique, dans un traîtement intelligent de ce qui est une situation de maladie chronique, est notre principal atout. Le confinement, dans l'entre-soi, dans les transports publics, est ce qui se révèle le plus contagieux. Quelle drolerie.
Lorsqu'on parle, de manière impossiblement abstraite, du problème de n'être que des rouages dans une commerce internationale qui a pris le pas sur notre autonomie nationale, il faut savoir que le fonctionnariat de la France est également capable de totalement déplacer toute décision qui nous impacte, les mécanismes à l'œuvre s'en foutent de la distance, du lieu et de l'échelle, cela ne change aucunement leur nocivité.
Sans téléphone, en campagne, vous pouvez observer les fonctionnaires dont vous dépendez, qui vivent à côté de chez vous et qui se déplacent à leurs officines chaque jour, ils vous verraient crêver avant de vous saluer. Si vous ne me croyez pas, observez l'attention que l'on prête à la machine dans sa main par rapport à la personne en face de soi. Il est souvent plus sage de conseiller l'usage du téléphoner plutôt que de parler à la personne à vos côtés, si vous voulez vraiment qu'elle vous prête attention. C'est la société du « pas ici, pas maintenant », souvent avec une observation oblique du genre que vous auriez quand même pu noter qu'on est super-occupé au téléphone, à l'ordinateur. Cela se passe au niveau local parce que tout est local. Les gens se retirent parce qu'ils n'ont qu'à se retirer, face à ces indignités.
Mais observons ce qui se passe dans un cadre où les gens marchent ensemble, cueillissent ensemble, transforment, cuisinent et mangent ensemble. On peut observer que la rélocalisation des rapports va de soi. Le fonctionnaire, responsable de la logistique, se trouve, à ce moment-là, face au besoin d'organiser le système d'approvisionnement de ceux qui sont là avec lui, et pas derrière le vitre – un tel peut récupérer telle denrée là-bas - au passage chez lui, un autre se propose pour prendre une commande de pièces nécessaires pour l'atelier vélo qui opère sur place, un autre peut se pointer dans l'équipe qui est actuellement en train de couper les patates, il y a le déplacement des stocks pour la prochaine étape à organiser, pour les mettre dans le lieu de stockage proposé par la mairie, etc.
Tenez, un boulot utile pour un fonctionnaire à ce moment-là serait d'engager les assureurs afin de légitimer l'utilisation de non-fonctionnaires pour, par exemple, "couper les patates", sans poursuite judiciaire. On n'a qu'à se décider – est-ce qu'on veut re-situer nos actes chez nous ou est-ce qu'on veut passer un temps sans fin à parler autour d'une table virtuelle sur la dé-virtualisation, tout cela subventionné par la dette croissante nationale, faite sur le dos des pauvres qui malgré leurs instincts, sont bien obligés de faucher de la forêt vierge pour nous fournir nos aliments de base que nous ne savons plus produire sans polluer la terre - chez nous en plus ?
Ces expressions d'exaspération viennent du fait que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, on a déjà compris, de manière abstraite, la racine de nos problèmes, mais on continue de faire les choses qui nous mènent au désastre, les décisionnaires en premier. Les bacs + 5 qui ont déjà compris n'ont d'autre solution à proposer, paraît-il, que de continuer de parler de tout et de rien, en cercle fermée. Ils ont oublié qu'on ne sait vraiment pas où ils vont avec tout ça. Les gens se trouvent démunis, conditionnés à appuyer sur la manivelle qui les donne des subventions. Au moins les machines ne savent pas exprimer leur condescendance, et l'argent à la main, il parle sans mot dire.
Si les gens au pouvoir ne savent plus parler qu'aux gens comme eux, c'est à cause de cette situation d'impuissance d'autonomie des gens plus sains d'esprit qui n'envisagent pas de s'embrigader dans des parcours qui n'affûtent que leur capacité de « parler ordinateur ». Ce n'est même pas la peine de parler si on n'est pas payé pour – encore moins de penser. On pense pour nous, nous n'avons plus à penser pour nous-mêmes. Les écologistes administrateurs ne sont pas les derniers venus à cette table de l'inaction collective, pour eux la nature est ce qu'ils visitent pour l'admirer – une réserve ou on ne rencontre que des touristes venus en voiture - ou bien le petit jardin qu'ils nourrissent comme passe-temps pour se donner bonne conscience, ou le vélo qu'ils utilisent pour aller au travail - ou à l'aéroport. Le gros de leur vie et de leur revenus se produit grâce au téléphone, à la visioconférence, à l'intérieur dans des milieux chauffés, climatisés, en train de lire et de remplir des liasses de papier virtuel.
Et si on appliquait la même attention et effort à notre engagement avec le monde physique du vivant ? Moi, par exemple, j ne serais pas en train d'écrire sur ordinateur, sinon de parler avec les gens – et de parler des actes concrets immédiats que nous sommes en train de mettre en œuvre. Mais je ne veux vraiment pas parler de l'heuristique des fines distinctions ontologiques qui méritent une analyse repoussée! Vous m'en excuserez.
Lorsqu'il y a les rares « remontées du terrain » des « acteurs » engagés dans le faire, ceux qui assument les responsabilités de plus grande envergure cherchent, comme la main d'œuvre sur un chantier, à approvisionner ceux qui font le travail. Ils ne sont plus les chefs, mais les facilitateurs, réactifs fonctionnellement aux besoins matériels des gens qui font, représentatifs de leurs besoins dans leurs propres collaborations avec d'autres coordinateurs. Mais si plus que la bonne moitié de la population n'y est pas engagée, cela ne fait pas l'affaire, cela fait juste quelques affairés.
L'une des choses que les écologistes oublient de mentionner souvent, c'est que le vrai travail écologique a besoin d'énormément de main d'œuvre humain, qu'il n'y a même pas de machines qui peuvent le faire. Prenons un exemple. L'existence de clôtures électriques partout, qui remplacent les haies – foyers essentiels de biodiversité, ne vient pas de nulle part. Entretenir une haie qui ne produit absolument rien directement pour l'être humain concerné coûte en plus énormément d'heures de travail, de travail dans le détail, du travail intelligent. Ah, le joli bocage ! Oui, mais les touristes, qu'est-ce qu'ils donnent à celui qui l'a fait, le travail ? La nature, pour la plupart d'entre eux, c'est ce qui se fait soi-même, comme par miracle. C'est gratos, ou cela devait l'être, pensent-ils.
L'emploi sur les bords de route est une source massive d'emploi de ceux qu'on appelle des en voie d'« insertion sociale » – ou des « TIGistes ». Je suis poli. Ils ont d'autres noms aussi. Mais l'entretien de haies a besoin d'un travail intelligent – savoir plier les arbres, créer de la densité, favoriser certains mélanges d'essences et beaucoup plus. Tandis que les entreprises qui prennent les TIGistes utilisent des débroussailleuses, des tronçonneuses et des camionnettes pour dévaster des milliers de kilomètres de haie chaque année. Leur manque de savoir faire convertit une opération qui pourrait être d'énorme intérêt écologique en opération hyper-consommatrice d'énergie qui continue d'inculquer des valeurs complètement industrielles sur toute une génération d'ouvriers sans formation.
Tout comme dans la proposition d'emploi massif des restaurateurs écolos, pour rétablir les liens fonctionnels humains d'une société – il y a la réserve qu'il faut qu'il y ait une sensibilité écologique qui conditionne ce processus, il est nécessaire d'aborder la question de la réhabilitation des haies avec circonspection. Tenez, on pourrait même en faire un ministère, juste pour les bords de route, tellement le problème il est vaste, à lui seul! Le ministère des bords de route. Ceux qui sont actuellement en place dans le métier ont des valeurs actives totalement à l'antithèse de l'écologie. Ils ne dépendent pas du tout de la production de biodiversité pour leur pain quotidien, sinon de la mise-à-ras de kilomètres linéaires de végétation. Là où ils sont passés, les adventices les mieux adaptées, les ronces, le balsam d'himalaya, les orties, etc. poussent en profusion, les assurant d'encore plus de travail énergivore dans les courtes années à venir. Ce n'est qu'en ville – là où les clôtures électriques rencontreraient quelques résistances humaines et pas seulement bovines - qu'on commence tout juste à aborder sérieusement la question de la bio-diversité aux bords des routes.
Une manière de considérer la conversion écologique de ce métier serait le suivant. D'abord et avant tout de faire que les équipes qui intègrent ce travail aient des formations préalables ou sur le champs sur la biodiversité, la frugalité énergique, l'utilisation d'outils manuels. Deuxio, qu'ils visent vivre des ressources alimentaires et autres créées aux bords des routes et des chemins qu'ils entretiennent – cela les recentre sur l'intérêt de ce qui s'y trouve. C'est-à-dire le lourd boulot de la détection, de la protection et de la sélection de noyers, châtaigners, cerisiers, aubépines, noisetiers, prunelliers, etc. qui y poussent déjà mais qui sont actuellement fauchés à répétition. Et on fait ceci au bord des centaines de milliers et des millions de kilomètres de route et de chemin, à présent abandonnés à la voiture - l'instrument même de notre déroute climatique. Pour ensuite cueillir, transformer et réaliser la valeur de leurs fruits - et de leurs bois – sans les brûler et sans en faire des palettes. Ce n'est pas un mince défi. La pollution des bords de route est énorme, tant en métaux lourds qu‘en poussière de particules fines également nocives qui se collectent dans le feuillage. Oui c'est un problème. Mais on ne peut pas nier qu'il y a déjà la forme d'une solution, dans les gens qui sont déjà là, déjà financés par l'état.
Est-ce qu'on est vraiment sérieux, je me demande, lorsqu'on parle de la transition écologique, assis sur son banc dans le train qui mène à Strasbourg, en train d'écrire les solutions écologiques de demain, toujours demain ? Le fait de s'engager avec la pollution existante, là où elle est la plus concentrée, là où l'être humain, il passe, n'est-ce pas « une preuve d'amour » ? La SNCF commet des atrocités dans ce sens aussi, l'élagage des bords de chemin de fer continue, mais sur les bords de route la mode est d'élargir le trait toujours plus, la stratégie maintenant est d'éliminer les arbres surplombants, si possible à dix mètres de chaque côté de la route (pour que les voitures « voient » le paysage). Cela donne beaucoup de boulot et de bois pour les machines des TIGistes. Le travail de l'homme est réduit à la destruction de toute végétation qui dépasse 10 centimètres du sol – il est impossible, avec la débroussailleuse, de faire autrement. Il y a un manque de culture et de savoir faire tellement grossiers dans les normes de cette profession que ce n'est même pas la peine d'en parler avec eux. Qui, de sincèrement écologique, ferait ce métier, sans de réels besoins d'emploi ? Pour les « CDIs », la crème de la profession, la rentabilisation de l'investissement énorme dans les tracteurs faucheurs qui réduisent la dépendance sur la main d'œuvre est ce qui compte. Ce sont ceux qui dépendent directement du pouvoir public centralisé - que ce soit de la communauté de communes, des conseils généraux ou régionaux. La plupart des conversations tournent autours de l'entretien des machines et l'existence des subventions – tandis qu'à plus basse échelle, il n'est pas facile d'entrer en contact avec la nature lorsqu'on passe des heures entières enveloppé de vêtements de sécurité en fluo avec des casques protecteurs et une machine tellement bruyante qu'elle coupe tout contact avec cette nature - et avec ses camarades de travail.
Si les élagueurs étaient employés à plier les haies, il n'y aurait guère de problème avec des arbres surplombants. Si le cœur de métier était écologique, les particuliers, au lieu de suivre les normes de l'agriculture à taille de tracteur ou de débroussailleuse (ce n'est pas vraiment la taille qu'ils pratiquent, mais plutôt l'arrachage ou la pulverisation), sauraient créer des jardins détaillés, biodivers, qui ne consistent pas seulement en pelouse débroussaillée, deux ou trois arbres parsemés au milieu et un lopin de terre avec quelques oignons et des patates, cassé chaque année au motoculteur. Ce sont en plus des techniques totalement dépassées par les connaissances actuelles en la matière – où est donc la transmission de savoir ?
La tradition et la fierté, pour les cheminots d'antan, s'étalait devant les voyageurs, dans les jardins au bord des rails de chaque petite gare et maison. C'était de la publicité gratuite pour le savoir faire rural "fait main". C'était des jardins, pas des « exploitations » à but lucratif - ceci dit ils étaient plusieurs fois plus productifs par mètre carré que n'importe quelle entreprise industrielle agricole aujord'hui, et ceci sans subvention – au contraire c'est parce que les cheminots n'étaient pas royalement payés qu'ils s'investissaient autant dans le jardinage.
Si les « décideurs » au niveau national et européen ne savent pas mettre des écologistes qui savent cultiver sur le terrain, pour expliquer les nouvelles normes par les actes, comment veulent ils qu'on les croie ? Avec leurs téléphones et leurs ordinateurs portables, ils pourraient même donner l'exemple, en y allant eux-mêmes, en collectif. Cela ferait "événement". Les élites des milieux ruraux sont actuellement totalement dominées par des pratiquants de la « science » du productivisme industriel. L'argent public ne cesse de les raffermir dans leur dogmatisme. Est-ce que les politiciens écologistes osent montrer le contre-exemple ? Ils n'ont rien à perdre, on ne vote pas écologiste en campagne – il faut être riche pour y trouver sa place et la seule manière de remédier à cette situation électorale, c'est de rendre possible un repeuplement écologique, également de gens de classe populaire, susceptibles de ne pas voter à l'extrême ou au « centre » droite et de bien vouloir travailler pour créer une campagne à la taille de leurs rèves.
Mais dans la vie réelle, tout comme en Angleterre, ceux qui ont tendance à repeupler la campagne dans les conditions actuelles sont plutôt des libéraux riches et donnés à l'entre-soi, des gens de la gauche caviar qui a échouée, ces longues années, à faire épanouir l'écologie de masse, justement parce qu'ils pensent surtout à leurs propres libertés et pas à celles des autres, au moins en ce qui concerne leurs préférences électorales et leurs vies privées réelles. Il y a même pire, les plus « écologistes » sont ceux qui font le plus la navette entre leurs boulots « socialement validés » ailleurs et leurs « petits paradis perdus » à la campagne. Ils ont tous des voitures, identifiez l'erreur. Tout comme les députés qui vivent entre Paris, Strasbourg, Luxembourg, Bruxelles … et les arrière-pays et les arrières-villes où ils ont étés parachutés pour se faire élire. Il faut avoir une très grosse tête pour penser qu'on peut sortir indemne d'une telle programmation sociale, soi-même, par auto-persuasion. Il est évident que dans ce cas, on se sent bien obligé de travailler avec et à travers les élites locales qui ont les réseaux de contacts qu'on ne peut pas entretenir et qu'on apprend, à force, l'impossibilité de l'engagement social sur la plupart de la surface du métropole.
Si, en ville, il y a plus d'espoir, (on y vie, on y travaille et au moins dans sa tête sociale c'est un endroit familier) il est logique de penser à réinvestir la campagne à partir des villes, de rentrer en contact direct avec la nature plutôt que d'y ériger des réserves qui la dépeuplent encore plus. On ne peut pas séparer humain et nature, c'est (presque) tout ce qui nous reste!
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lundi 1 mars 2021
Analyse critique :
Intelligence Collective par Joseph Henrich;
Quelles sciences pour le monde à venir? par le Conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot
Petit Robert 1977
heuristique (1859 : du grec heuriskein « trouver »). Didact. Adjectif : qui sert à la découverte. Nom féminin : partie de la science qui a pour objet la découverte des faits.
heur (heûr et aür vers 1160 ; latin agurium, augurium « présage »). vx. Bonne fortune.
Dans la section « abréviations » :
didact. - didactique : mot ou emploi qui n’existe que dans la langue savante (livres d’étude, etc.) et non dans la langue parlée ordinaire.
vx. - vieux (mot, sens ou emploi de l’ancienne langue, incompréhensible ou peu compréhensible de nos jours et jamais employé, sauf par effet de style : archaïsme).
Sérendipité : tentons ma définition : «par heureuse chance, le fait de tomber sur quelque chose ou quelque compréhension (appréhension) ».
Définition wiktionnaire : Fait de faire une découverte par hasard et par sagacité alors que l’on cherchait autre chose.
L’origine est « Serendip » un nom pour le Ceylan, 8ième siècle.
Il y a « de bon augure » aussi, évidemment. La chance de tomber sur quelque chose, comme cette piste de sens dans les dictionnaires, est multipliée par le fait de bouger, de croiser des choses sur son chemin, des choses peu-pré-choisies par d’autres, de manière « autonome ».
Je suis en train de lire des livres assez difficiles à avaler. L’Intelligence Collective (Joseph Henrich, de Harvard, 2016) et Quelles sciences pour le monde à venir ? par le Conseil Scientifique de la Fondation Nicholas Hulot, octobre 2020.
Par rapport à la catastrophe écologique en cours, le sujet est « pourquoi est-ce que l’on n’arrive pas à agir en fonction et à la mesure du problème ? » La même question se pose sur l'épidémie de la Covid, qui se présente comme une facette du problème majeure, de manière claire et éducative.
Deux facteurs se révèlent pertinents. Dans les faits, la population des pays riches ou qui risquent de le devenir est massivement hostile. Même si elle en fait des mauvaises rêves oraculaires chaque nuit du confinement, cette population fait beaucoup pour ne pas basculer dans un autre monde écologique. Les solutions qu'on nous propose font avec cette réalité humaine plus qu'avec cette réalité physique envers laquelle on avance, inexorablement. Les solutions plus "brise-modèle" sont encore "tabous". En quelque sorte nous creusons vigoureusement le trou dans lequel nous voulons enfoncer nos têtes d'autruche. On ne peut pas dire (pense-t-on) ni faire ce qu’il faut pour s'en sortir – toujours à cause des autres - même si on ne le fait pas soi-même, par "pragmatisme" et avec résignation (comme "The Walrus and the Carpenter", Lewis Carrol). Il y a besoin de persuasion, pas d’autoritarisme, dit-on.
La teneur des discussions des experts et des portes-paroles à la média est de dire qu’il y a des méchants (multinationales, super-riches, néo-libéraux) qui cassent les pieds de ceux qui veulent faire le bien et que la société est trop égoïste et conservatrice pour accepter les mesures nécessaires (identifiez le non-dit). Des attaques frontales sur la mode de vie de la majorité (donner honte) ne sont pas tolérées et sont supposément contra-productives. Il s'agit sans doute de la honte quand même (salut Greta).
Ces dires non-dits masquent la non-réussite des stratégies "soft power" – et cela depuis des années – tandis que la législation qui est passée nous lie pieds et poings dès que nous tentons des expériences sociales écologiques de petite ou de grande envergure. Sinon, elle tente de les casser. L'état a tendance à produire la précarité. En tous cas, merci m. Sarkozy, pour avoir fait des conneries assez grosses pour être puni [à voir, ne meurs pas avant comme Chirac]. Au pire, on a mis a dos un assez gros segment de la population pour qu'elle soutienne des vraies initiatives écologiques, le temps venu.
La Fondation Nicholas Hulot, ou ses scientifiques au moins, reconnaissent que pour être convaincants ceux qui proposent des solutions doivent les mettre en pratique eux-mêmes – c’est le moins qu’un scientifique puisse faire, d’ailleurs, sinon il n’a ni expérience, ni preuves. Elle reconnaît aussi que c’est notre culture même qui doit changer, être réinventée. Comme ils ne pratiquent pas eux-mêmes des modes de vie radicalement différentes, ils ne proposent pas des modes de vie radicalement différentes (oui, je sais que c’est incohérent, mais c'est comme ça).
Dans la pratique, donc, la fondation ne soutient pas des pratiques et des projets pilotes de société nouvelle sinon se redéfinit comme fin analyste qui ne fait rien. Elle ne propose pas de solutions radicalement différentes et ceux qui l’intègrent ne proposent que des changements quantitatives – sous l’étiquette « développement durable » qui ne s’adressent guère qu’au problème du climat, alors que le problème de l’extinction du vivant, dont nous, crée le problème du réchauffement climatique, plutôt que d’en résulter (attention : cause suivie d’effet).
Pour donner un exemple du cadre de pensée « scientiste » des sciences dures qui régit sur l’analyse (malgré les protestations du contraire et à l’instar de l’analyse des marchands de confusion critiqués dans l’œuvre), la démographie, qui est le résultat de nos choix sociaux, est l’un des problèmes matériels absolument critiques à résoudre. Est-ce que c’est dans le domaine de la science ? Mais bien sûr ! Le sujet le plus non-traité dans l’œuvre : « combien de morts humains, à quelle échéance et comment ? »
Repli communautaire
Sommaire : la discrimination sociale est transsectionnelle – elle ne peut qu’induire des boucles de retro-action. Si la population cesse d’être socialement mobile, comme dans le cas du confinement Covid et de l’utilisation des technologies qui nous détournent de la place publique (voitures, portables, etc.), elle perd rapidement sa compétence sociale collective et se replie sur des cercles réduits. C’est déjà le cas à la campagne, où il n’est plus possible de vivre en tant qu’être humain sans voiture, portable, argent (au diable les droits de l'humain sans prothèse), à moins d’être le dépendant de quelqu’un de riche (fonctionnaire, cadre d'entreprise zombie) ou de l’état (agriculteur). Les services publiques fonctionnent avec beaucoup de peine, moyennant l’emploi des dites technologies. La société bulle se raffermit. Le parallèle peut être fait entre une entreprise zombie et un chômeur longue durée à la RSA - leur survivance est détachéé de leur performance, surtout leur performance écolo-sociale.
Quelques exemples réels d'interactions communautaires.
- Dans un banlieue principalement noire d'origine antillaise en R.U., tous les magasins sont tenus par des personnes d’origine musulmane pakistanaise.
- Un petit enfant allemand a tendance à être réceptif aux enseignements qui viennent de personnes qui parlent sa langue maternelle, voire son dialecte, son accent. Il est punitif envers les transgresseurs du code de son groupe social et tolérant envers les faux pas des étrangers (Intelligence Collective, œuvre citée). (Un petit enfant anglais a plutôt tendance à l’envers, ...)
- Dans les stations scientifiques de l’Antarctique, le mélange de personnel est international, ce qui est plutôt bien toléré, même stimulant, selon témoin.
Cet exemple illustre les contradictions implicites dans l’analyse de Henrich (Intelligence Collective - un oeuvre qui ne traîte pas le sujet de la stupidité collective, bien qu'elle soit aussi pertinente). Si l'on peut se sentir sécurisé par des gens qui parlent sa langue, avec son accent, on peut aussi se sentir insécurisé. Cela dépend des expériences vécues. Si le passage de memes (« gènes » culturelles : "mimétiques") est plus assuré, plus rapide et plus généralisé, plus le groupe d‘individus qui se communique est grand et varié (comme il le dit), à quoi bon extrapoler des théories basées sur des études des petites communautés isolées ou des enfants ? Déjà il y a des questions de spécialisation "relais" ou intermédiaire culturel (exemple: interprète) qui s'interposent - et qui traitent des moyens de communication et de refus de communication, nommément la langue - sa dimension « sociolinguistique ».
La non-familiarité, le plaisir de la découverte, ces facteurs peuvent être des facteurs d’attirance. L’innovation, la curiosité, la singularité, n’est-ce pas aussi de cela qu’on parle, lorsqu’on parle de l’intelligence collective comme phénomène évolutionnaire ? Il est plus difficile mentalement de mentir que d’être sincère, Henrich déduit des expériences citées dans le livre et des études du cerveau. Mais justement, ce sont les anomalies, les innovations, les néologismes qui font signe d’alerte et qui provoquent l’intérêt ! Certaines nations ont tendance à raconter l’histoire du progrès en n’utilisant que des exemples qui viennent de leurs propres pays. D’autres citent les vrais inventeurs. Lesquels de ces pays sont les plus ouverts aux découvertes ? Si on compare l’anglais au français, prenons le mot « banane » comme exemple ; c’est « banana » en anglais – on n’est pas obligé, en Angleterre, d’angliciser chaque mot – si on l’écrit de travers, c’est souvent parce qu’on a du mal à le prononcer, pas parce qu’on cherche à le faire « sien ». On est curieux de la provenance, on n’essaie pas de l’assimiler à chaque reprise. Or, les anglais sont réputés « inventeurs » - leur langue tolère et se réjouit même des néologismes. Elle se gère très bien toute seule, sans souci d'académie centrale de prescription linguistique.
En tournant au livre de la Fondation Nicholas Hulot, je cite une phrase (p.214) où on parle de l'attitude des scientifiques en France envers le public. « Plutôt que d’instaurer un dialogue avec lui, l’enjeu est d’éduquer ce public indifférencié et passif en « vulgarisant » les connaissances scientifiques. Et comment ! En 2002-3 j’ai assisté à une conférence de la CNRS à l’université Lyon II sur le sujet des bars de la science ». J’étais invité en tant que représentant de « Café Scientifique » - une initiative totalement indépendante anglaise qui visait la « mise en cause » de la science dans une atmosphère informelle, en partie calquée sur notre imaginaire des « cafés philos » de la rive gauche à Paris dans les années 1960-70. Les conférenciers français, tous des professionnels des sciences dures (Physique) financés par l’état, parlaient de « la vulgarisation de la science ». Je les écoutais avec un étonnement grandissant. Avec le mot « vulgaire » c'était déjà très mal parti. Ils ne voulaient absolument pas écouter ce que j’aurais eu à dire là-dessus, bien sûr.
Et on ne peut pas dire que l’Angleterre n’a pas de culture scientifique. Dans notre café, qui ne cessait de produire des rejetons partout, nous avions toute sorte de scientifique célèbre qui voulait passer pour parler avec des gens intéressés par la science, des gens aux frontières de la science comme passion plus que métier. Les bars de science en France galéraient, malgré leurs subventions – ce qui ne me paraissait pas étonnant si leur objectif était d’expliquer, de manière condescendante, ce qu'était la science, sans écouter personne. Nous non – même pas du tout, même pas les scientifiques – c’étaient souvent des lanceurs d’alerte qui avaient des graves préoccupations sur certaines questions. Ils voulaient comprendre et être compris, en général. Par exemple, des gens qui étaient en train de découvrir que l’énorme univers de l’ADN « junk » n’était pas « junk » ou qui mettaient en cause les effets du Prozac (c'est comme le Ritalin) sur certaines populations.
Quand je lis le livre des scientifiques de la Fondation Nicholas Hulot, … comment dire, ... je vois que cela n'a guère changé. La tour d’ivoire, le mépris de classe, tout est là encore. Il n’est pas suffisant, dans la conjoncture actuelle, d’attendre que le modèle s’effondre – il faut s’allier avec des confrères et sœurs pour représenter un vrai pôle d’expression des scientifiques et de non-scientifiques innovants – et peut-être tout simplement casser – oui « casser » le pouvoir monolithique de la CNRS. Surtout faire que les bio-sciences, les sciences humaines et les expériences d'immersion fassent partie intégrante de cette « Broad Church », cela devient juste … absurde de ne pas comprendre cela. Si on ne fait pas attention, on va constater, après coup, que la seule science innovante est en train d'être pratiquée par des "profanes".
Paradoxes
Dans les circonstances du confinement et du couvre-feu, c’est la libre-association physique qui est réprimable, alors que la solidarité collective devient très importante. La virtualisation de la communication assez directe qui s'y substitue commence à faire substance. Malgré cette aubaine, on cesse de parler du sort des laissés pour compte, se concentrant surtout sur des grands groupes faciles à identifier et institutionnellement encadrés – enfants à l’école, vieux en EHPAD, étudiants à l’université, … en fait le journalisme ne sait pas accommoder les individus sauf en termes de représentants de l’un ou de l’autre des groupes cibles, sa volupté de catégorisation chiffrée induisant une adaptation à ce conformisme-là. C’est pour dire, la média et les sciences sociales ont tendance à inventer la réalité des discriminations par groupe - il y a les a-groupaux aussi, vous savez? Il est difficile ensuite de dire qu’il y a des lobbies … il n’y en auraient pas si on ne les confectionnait pas, conceptuellement, à tout va.
Dans la première et la deuxième guerres mondiales, l’unité (le patriotisme) et l’esprit de corps ont été des valeurs exaltées. Il reste que les lanceurs de la Résistance en France ne venaient pas de la société en général, sinon des groupes ciblés et persécutés par les Nazis et les forces de la France occupée – juifs, communistes et syndicalistes pour la plupart. Cela a pris deux ans pour s’élargir aux « français de souche ». Qui encaisse? Qui résiste?
A la fin de la première guerre mondiale, avec ce grand brassage de gens en transit et de retour de partout sur la planète, la grippe dite « espagnole » a tué presque autant de monde que la guerre elle-même. Dans la deuxième guerre mondiale, la santé physique et mentale de la population britannique a sensiblement amélioré – à cause des « privations » et du niveau d'engagement physique nécessaires, si l’on veut, un genre de corticoïdité générale. Suite à la première et à la deuxième guerres mondiales, des institutions inclusives visant la paix et la coopération mondiales ont été créées, basées sur des concepts de droits et de dignités humains absolus, sans distinctions de race, de religion, etc. L’accélération du développement des mises en œuvre des idées est démontrée par les missions lunaires, le savoir-faire de la solidarité induit par « la guerre » a continué d’atteindre des pics de progrès dans les décennies après sa fin.
Je commente le livre L’Intelligence Collective (œuvre citée, publié en 2016) parce que les idées qu’il contient peuvent avoir une forte influence sur l’opinion des preneurs de décisions dans des positions de pouvoir politique et sociale, pour le bien et pour le mal.
Résumé (abstract)Intelligence Collective
Dans l'ordre, bien sûr, étant donné que je viens de le commenter, indirectement! Le livre prend des exemples de ce que font des petits enfants et des petites tribus non-civilisées pour illustrer sa thèse, que les êtres humains ne sont pas plus intelligents au niveau du raisonnement pur que d’autres animaux, individuellement, mais qu’ils ont des spécificités, distinctes des autres animaux, qui font qu’ils vont enregistrer, reproduire et appliquer des normes sociales, même contre la raison apparente. C’est leur mimétisme, leur soumission sociale (domestication) qui est leur qualité distinctive, au dépens de leur intelligence, supposément. Le « prestige » est séparé de « la dominance » - c’est-à-dire, le statut social d’un individu dépendra plus de son taux de popularité et intégration sociale que de sa « dominance » physique, ce qui fera qu’on le suivra (et ses opinions) même si rationnellement on pourrait savoir qu’elles ne sont pas fondées. Par exemple, on va suivre tous les pas d'une rite ou une danse, sans discriminer celles qui sont vraiment adressées à une fin identifiable - au contraire des chimpanzés.
L’hypothèse qui sous-tend la thèse est que les êtres humains ont commencé leur évolution dans des groupes relativement petits ou dans des organigrammes tribales composées de petits groupes. Pour parvenir à une gestion de grandes populations, on a commencé donc avec les outils affûtés à l’usage de petites populations, entre eux et en lien direct personnel. Cette « domestication » culturelle a forcé l’évolution de nos cerveaux dans un sens social, plutôt que dans le sens que nous soyons individuellement plus « performants » vis-à-vis nos concurrents humains, sauf dans le secteur de l’« obéissance » (soumission) à des règles d’association sociale. L’importance de la thèse dans le contexte présent est qu’elle a tendance à miner notre confiance dans notre capacité à résoudre nos problèmes collectifs de manière bien raisonnée, donnant plutôt des outils aux manipulateurs de l’opinion, générant la confusion et le syndrome de la post-vérité. Ce thème est courant dans le monde scientifique. Il peut normaliser l’expectation de malhonnêteté. Henrich paraît démontrer que les humains ont cependant plutôt tendance à être honnêtes, ce qui est moins coûteux cognitivement et socialement, mais que cette "honnêteté" se détermine par référence aux normes socio-culturelles plutôt que par rapport à la vérité concrète. Exemple qui me vient à l'esprit - l'ordalie (époque dite 'féodale').
Critique Intelligence Collective
Il se peut que la thèse, comme celles de Freud, a ses mérites mais qu’elle est mal-barrée dans sa spécificité, faute de connaissances étoffées et pointues. Il peut très bien continuer de coexister des trait parallèles et complémentaires dans le sein d’une même population. Il peut d’ailleurs se développer des conventions « antidotes » plus puissantes que l’obéissance aveugle aux conventions fafolles – c’est ce que j’essaie de démontrer plus haut. Le conformisme culturel est un outil de sélection évolutionnaire puissant, mais à double tranchant. Il n’y a pas grand-chose qui interdit l’idée de la massification des populations humaines dans le lointain passé, non plus, qu’ils soient nomades ou sédentaires, ce qui rend moins plausible l’idée que l’on peut prouver des traits culturels déterminants « innées » en observant des cultures « vierges » de taille mineure. Comment en extrapoler des caractéristiques culturelles universelles de ces dénominateurs communs à l’échelle individuelle, ce ne sont que des analogies ? Il y a surtout une sous-estimation « méprisante » de l’intelligence adaptative dans des cultures diverses – par exemple pour une culture très nomade, la pauvreté en biens est une richesse en mobilité adaptative – pour les animaux cette richesse interactive avec l’environnement « crée » l’intelligence qui manque souvent aux sédentaires sociaux.
En partie mes critiques sont logiqement injustes - Joseph Henrich tente de montrer que les mécanismes de l'évolution culturelle existent, que c'est ces mécanismes qui travaillent notre évolution génétique et notre biologie, plus qu'on a voulu l'admettre. Soit. Cela peut rajouter de la rigueur explicative. Il peut aussi limiter notre confiance collective dans nos capacités autonomes, comme rouages dans cette machine sociale infernale et aveugle, dominée par des résultats chiffrés. Il me semble, cependant, que cette approche "numérique" vient avec notre jouissance dans le monde des statistiques computationnelles - c'est tout frais, c'est une mode. La démocratie représentative est également sous la régie de simples chiffres, en apparence. Ce n'est cependant qu'une angle sur la réalité du monde.
Dans une publication sur les meutes de chiens et le danger qu'ils représentent, le conseil est donné qu'ils n'attaqueront jamais deux personnes - c'est déjà une "meute" humaine pour eux. Dans la plupart des mouvements sociaux, il suffit souvent de deux ou trois personnes résolues au début pour lancer un effet "boule de neige". Dans la "science" de la gestion, on conseille de faire travailler en groupes de 5 à 8 personnes. En dessous, on est trop exposé à la perte d'individus clés à l'entreprise. Au-dessus, cela devient compliqué de gérer l'ensemble san frais administratives trop lourdes. Il y a peut-être des bonnes raisons pour lesquelles les animaux n'ont pas intégré la capacité de compter dans leur "boîte à outils" cogntif. Pour utiliser un outil cognitif, il faut déjà que cela éclaire plutôt que d'obscurcir l'analyse d'une situation agissante.
L’idée qu’il y a des catégories du vivant sociales et des catégories non-sociales est questionnable. Plusieurs espèces peuvent basculer d’un état à l’autre, dans toutes les catégories, selon le cadre. La reproduction et la prédation sont des actes sociaux communs à tous les mortels, parfois en fin de vie (pieuvres, araignées).
Les criquets et les flamants roses peuvent former des vastes communautés, sans être équipés des traits culturels humains. Les invasions des hordes nomades mongoles (Genghis Khan), en Chine ou en Europe, ont déployé des masses d’êtres humains et trouvent une origine dans les pulsations démographiques dans les steppes de l’Asie Centrale, décalées de quelques années suite à des « bonnes années » de pâturage. Les plus anciennes civilisations en partie sédentaires, comme celle de l’Égypte, ont su employer des masses de main d’œuvre à bon escient. C’est-à-dire, la capacité de former et de stabiliser des cités et des citadins, des armées et des caravanes, n’est pas un bon indicateur du progrès évolutionnaire, que ce soit une coévolution culturelle et génétique ou une évolution purement génétique, mais un produit constant de circonstances conjoncturelles, depuis qu’on sait se déplacer, même si les liens individuels dans un groupe peuvent bénéficier d’une mémoire plus grande qui permet de situer plus d’individus et de classes d’individu.
Ce type de mémoire peut également s’employer, comme dans le cas de l’orang-outan ou de l’éléphant, pour mémoriser des territoires, des calendriers saisonniers et des sources d’approvisionnement. Le raisonnement qui mène Henrich à supposer qu’il y a une « évolution culturelle » de l’intelligence collective a un défaut – nous ne paraissons pas en avoir beaucoup, d'intelligence collective culturelle - elle prend facilement des dérives. Les questions "comment?" de la science peuvent trouver des réponses à menu sans que les liens de causalité de l'ensemble soient ainsi décrites - un cancer humain est une désordonnance de la cohérence d'une vie humaine - est-ce la même matière? L'heuristique de l'intelligence collective n'est pas juste une série de mécanismes fortuits statistiques. Le "corpus de savoirs faire" auquel tient Henrich pour étayer sa thèse est éternellement réinventé, mutant. Le plus apte, évolutionnairement parlant, peut ête celui qui a un cerveau moins développé - cela paraît être le cas avec tout animal domestique par rapport à sa version "sauvage". Le "nous" domestiqué, est-ce qu'il a éliminé les nous plus intellectuellement développé sauvage ?
L’une des choses qui peut enflammer le plus, des américains, est « si tu veux réussir comme moi, fais comme moi – regardes, je suis riche et [béatement] heureux » (la chanson "I'm the King of the Jungle", dans le film du Jungle Book par Rudyard Kipling, version Walt Disney, exprime bien ce sentiment). Oui, au dépens du reste du monde, en singeant la méthode coloniale anglaise. Il me semble que mon point de vue est devenu un peu daté et que les américains sont en train de mûrir suffisamment pour reconnaître leurs erreurs – je l’espère, il y a beaucoup à défaire.
L'Intelligence collective appliquée
L’intelligence collective « civilisée », par contre, peut très bien s’approcher d’une évolution culturelle plus que génétique, si elle réussit à réconcilier les divers intérêts « écologiques » de ceux qui co-occupent l’écosystème, plutôt que de tenter de le remplacer. Tout le monde est d’accord qu’il existe plusieurs variantes de culture qui fonctionnent de manière relativement stable, au moins jusqu’au rencontre avec d’autres civilisations. Le nomadisme peut succéder au sédentarisme agropastoral, si un écosystème excède ses limites, parce qu’il permet de vivre à moindre consommation de ressources et à moindre essor démographique. L’interaction nomade-sédentaire réussie est une signe de sagesse culturelle, à cet égard, puisqu’il est incroyablement difficile à réussir.
Les cultures de conquête et de colonisation, par contre, n’ont pas marché, écologiquement, puisqu’elles ont eu tendance à dépasser rapidement la capacité de leurs propres écosystèmes et celles des autres ensuite, enchaînant les « défaites » écologiques en série. Autant l’aspect désertique de l’ouest de la Grèce qu’une grande partie du sud-est de l’Espagne et de l’Afrique du Nord mettent en évidence les effets du surpâturage des chèvres, aujourd’hui encore. Ces effets délétères au sols du colonialisme grecque, phénicien et autres datent souvent d’il y a plus de 2500 ans (récits de Platon). De dire que le colonialisme a marché parce qu’il a dominé, éliminé ou culturellement assimilé les concurrents est de la pure fiction. Sa propagande a marché, ça oui. Les grands dinosaures qui ont « dominé » la terre ne sont plus là et ce sont les virus, les maladies et les épuisements d’écosystème autant que les guerres qui ont vaincu le plus les êtres humains, jusqu’à effacer leurs traces et leurs histoires.
Des idées reçues ...
Les idées reçues de l’intelligentsia, de l’élite, sont très conditionnées par leur propre environnement et modes. Par exemple, en lisant cette œuvre du chef du département de "Biologie évolutive Humaine" à Harvard (faux pas que je dise "ethnobiologie"), je suis frappé par ses interprétations inconsciemment biaisées par des valeurs culturelles américaines et allemandes, tout comme je le le suis en France. Il définit la rationalité de l’intéressement personnel par le « toujours plus » monétaire et matériel, comme Nicholas Sarkozy en avait l’habitude lorsqu’il était au pouvoir. Un nomade n’a aucun intérêt à porter beaucoup, il ne fait pas la même erreur. Les allemands et les néerlandais font des expériences par rapport au conformisme général, ce qui ne cesse d’amuser les anglais. Les enfants américains et allemands s’allient toujours à ceux qui ont le plus de proximité linguistique, ou qui sont du même sexe, etc., ce qui laisse à penser que même s’ils deviennent « anti-racistes », personne ne les aura fait vraiment croire que la catégorisation des gens de cette manière soit à questionner ...
Les britanniques sont des raisonneurs souvent non-hiérarchiques et fraternels, par rapport aux cultures mentionnées. Le non-conformisme est institutionnalisé et représente au moins 6 millions de personnes dans une population de c.65 millions, avec une influence disproportionnée. L’arrivée du non-conformisme est bien sûr le résultat d’un excès de conformisme, mais notons que ce n’est pas l’anti-conformisme, sinon une accommodation de la réalité du vivre ensemble. Cela veut dire baisser les yeux, plutôt que lancer un défi, par exemple, refuser de s’engager ou se retirer au lieu de contre-attaquer. L’idée d’un rapport de force n’est pas très bien compris en Angleterre – si cela en vient à un rapport de force, c’est qu’on a déjà perdu la raison, normalement. Les rapports de raison et non pas de force sont définitivement préférables.
On peut me critiquer pour ma manière autoritaire de « dire » le caractère anglais, mais je ne cherche qu’à démontrer que si on accepte que nos savoirs sont bâtis sur des conventions culturelles plus que sur l’intelligence de l’individu, des conventions qui, comme raccourci, peuvent s’appeler « l’intelligence collective », on doit aussi pouvoir accepter qu’une croyance largement partagée au Dieu « raison » et à son Saint « le rasoir d’Ockham » peut en faire partie.
D’autres exemples dans le cadre anglais sont les anarchistes, qui choisissent presque sans exception de se vêtir de noir, avec des bottes noirs (comme si c’était la liberté de se conformer [aux codes vestimentaires de leurs ‘ennemis’]). Ils sont les analogues des « black blocks » et de l’éponyme passe-partout « Cami/lle » des ZADs. Cela fait contraste avec le désir de se vêtir n’importe comment pour subvertir les codes de l’uniformité, dans ces mêmes groupes. La mode joue avec les codes, elle aussi. Ces jeux sont des répétitions essentielles pour repousser le conformisme irréfléchie. L’anti-autoritarisme n’est pas contre l’autorité (nuance). Il y a une grande différence entre l’apparence et la réalité, qu’il faut souvent percer. Nous avons Robin des Bois (les français aussi, ils mettent l'électricité la nuit), les allemands Hansel und Gretel, les américains the Good the Bad and the Ugly. Etc.
Nous sommes tous les héritiers de l’Âge de la Raison. Nos « normes », si l’on accepte un moment les prémisses du livre d’Henrich, sont donc celles de « la Raison » qui dépasse le dogme. La Raison, c'et le vrai, même si le vrai est difficile à cerrner et dépend de la grille de lecture. Que ces mots existent depuis des lustres prouve notre connaissance et maniement de la problématique. Nous avons fréquemment eu, de toute évidence verbale, à y faire face. Nos normes de l’organisation des sciences du savoir prennent en compte la tendance à l’imitation des êtres humains, le système de « peer review » reconnaît cette réalité humaine, à l’égal du système parlementaire – nous avons donc dores et déjà des systèmes de « raison au pluriel ».
J’ai commencé cet écrit par citer des mots d’origines grecque et latine dans un dictionnaire physique français de 1977 (heuristique, heur) et sur wiktionnaire le mot sérendipité, d’origine sanskrite via le perse et l’italien (1557) et puis l’anglais. C’était en partie pour signaler que l’appréciation de « la raison » et de « la science » n’ont pas leurs origines dans l’époque moderne industrielle, sinon très longtemps avant, qu’on a peut-être oublié leurs origines pour faire cercle complet et revenir aux mêmes conclusions. « Heur-eux soit celui qui ne connaît pas son sort » sonne quand même mieux que « sérendip-iteux sera lui qui ne connaît pas son sort », ou, comme on me l’a dit une fois « la vérité est ce que dit l’oracle de Delphes, cherches à la comprendre ».
La dépréciation systématique de la raison, jusqu’à la dépréciation des « mots savants » (voir ci-dessus, abréviations du Petit Robert 1977) n’est pas pas une norme des civilisations dites primitives, sinon de la nôtre. Pour nos prédécesseurs, les mots étaient leurs outils de travail, pas un simple passe-temps social. Leur transversalité linguistique ne cessait d’enrichir la compréhension – des savoirs neutres dans un monde d’intéressement. L’un des graves dangers du numérique est de nous aliéner de nos outils cognitifs – les langues - qui nous permettent d’appréhender le monde – d’en faire un sens qui nous parle et qui nous donne les outils mentaux pour agir.
Reprenons
Finalement, je suis plutôt convaincu par les conclusions du livre de Henrich. J'ai l'habitude, dans mes processus d'apprentissage, de challenger vigoureusement tout ce qui va contre mes idées reçues - je crois que cela m'aide à m'engager avec la matière.
Les plusieurs points de désaccord surgissent peut-être de mon background, dans la culture des « hobbits ». Il dit avec raison qu'au lieu de nous tenir sur les épaules de géants, nous nous tenons sur les épaules de hobbits. Je pensais utiliser l'image d'Einstein comme exemple de la fulgurance de la génie humaine, mais je suis obligé de reconnaître qu'on ne pourrait plus hobbit que lui. Son entourage et ses expériences expliquent très facilement les outils et les possibilités mentales qu'il a pu acquérir. Ce contexte de haute qualité d'appréciation scientifique explique aussi l'acceptation du milieu scientifique pour ses idées.
Je cite une phrase (p456). « Non seulement un plus gros cerveau collectif produit une évolution culturelle cumulative plus ample et plus rapide, mais, si la taille ou la connectivité d'un groupe diminuent brusquement, ce groupe risque de perdre collectivement des savoir-faire culturels au fil des générations. » Et une autre (p460): « Avant que le commerce international n'ouvre pleinement les océans pour en faire des grandes voies maritimes, nos cerveaux collectifs étaient limités par la taille et la géographie de nos continents. »
Dans les dernières chapitres du livre, Henrich propose que nous sommes en train d'évoluer encore, culturellement et génétiquement, en accélérant. Si nous lisons attentivement les deux phrases citées, deux critiques ressortent. Où arrête la taille de la croissance du cerveau collectif? Les lois de l'évolution requièrent des populations différenciées et séparées aussi. La connectivité d'un groupe peut diminuer brusquement si, par exemple, le schéma d'information rend difficile le discernement à sa juste valeur des informations pertinentes. En fait les arguments, à ce niveau-là, d'Henrich sont grossièrement simplistes - comme des haches en pierre rudimentaires. Nos nouvelles technologies de la dissémination de l'information ne sont aucunement culturellement assimilées, nous n'avons pas eu le temps d'adaptation nécessaire. Les sciences ne se montrent pas assez adaptatives, non plus. Ses théories peuvent aider dans le processus.
Il me semble que si je réagis mal à ses propositions, ce n'est pas parce qu'il a tort, ni parce qu'il a tort de les élaborer, comme outils utiles. Non. C'est parce que je viens, moi aussi, du pays des hobbits - le pays qui a eu l'empire maritime mondial qui a permis à ses scientifiques de relier autant de points d'information culturelles plus tôt que d'autres cultures et de faire que sa langue devienne la lingua franca du monde savant entier. C'est-à-dire que l'Angleterre a un temps d'avance dans le développement d'outils culturels particulièrement bien adaptés à notre époque industrielle et post-industrielle et à la crise écologique présente.
La taille
L'Angleterre n'est pas de très grande taille, mais elle est exceptionnellement bien connectée. Henrich ne met pas de confins sur la taille des groupes, on ressort avec l'idée que plus c'est grand, mieux c'est. Ni est-ce qu'il analyse le jeu entre les groupes de différentes tailles, à part dire que les individus savent discriminer entre un bon enseignant et un mauvais enseignant. Peut-être il se défendrait en disant que c'est hors sujet, mais le sujet est la biologie évolutive humaine et l'hypothèse est que les boucles de rétroaction existent. La population humaine est de plusieurs milliards de plus que naguère, on peut se sentir noyé dans la masse. Son évolution est menacée par l'extinction, pur et simple, par l'excroissance de la population. Même à des populations plus réduites, l'humanité a eu des impacts très forts et parfois adverses sur l'écologie de son milieu de vie, dans le passé, une boucle de rétroaction aussi significative que celle qui opère socialement ou dans l'invention d'outils. La pression démographique est une réalité humaine, elle change les rapports entre nous pour créer de l'ouverture sociale ou de la fermeture (repli) sociale. Comme la société est dynamique, il y a une constante insertion sociale de nouveaux venus dans des hiérarchies sociale plus statiques ou stables. Ces arrivants ont tendance à l'ouverture sociale (ils cherchent à s'intégrer). Les hiérarchies consolidées cherchent au contraire à défendre leurs acquis. L'équilibre entre ces deux forces est critique pour le passage de savoir adaptatif.
La nature précise de la connectivité intrahumaine, hors liens familiaux et tribaux, spécifiquement technologique et macro-systèmique, adaptée à ces vastes populations en convergence culturelle, devient la préoccupation centrale. Pas la taille, puisque tout le monde, ou presque, est interconnecté - trop interconnecté. Une fois un certain seuil dépassé, on passe à des critères inter-taille, ce que j'appelle d'inter-connectivité fractale et dynamique. Ce n'est pas un tout ou rien, la granularité rentre en compte - c'est-à-dire la cohésion sociale à diverses échelles. On peut argumenter que peu importe le confort communicatif de chaque individu, mais c'est ce qui a le plus d'importance pour que la culture humaine ait une existence fonctionnelle. Si les tribus, les us et coutumes, les unités familiales commencent à être perçues comme sans importance - qu'est-ce qui peut les remplacer ou les étayer ? Je ne fais qu'accepter son constat que nous sommes en train d'évoluer, plus rapidement que jamais. Ce n'est pas la fin de l'histoire. Le vrai sujet est de recentrer la sciences en les concentrant sur le rapport qu'ont ces cerveaux collectifs, ces cultures et leur organisation à notre existence. Comme le dit Henrich, ce sont des facteurs co-évolutionnaires - notre manière de nous transporter et de transporter l'information impacte notre organisation sociale et notre capacité de mettre en œuvre les politiques nécessaires. Pour convaincre aux gens de changer d'habitude, il faut qu'ils se trouvent dans des cadres apprenants susceptibles de produire les résultats désirés. En tout cela, nous sommes très déficients. Les écoles n'ont jamais été aussi efficaces que lorsqu'on était dans la découverte de leur valeur, motivés et enthousiastes.
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dimanche 7 mars 2021
norma
Normes et complexité
Peut-être ce n’est pas si complexe. Prenons quelques normes. En France il y a vraiment beaucoup de gens maintenant - autour de 70 millions, il me semble. Plus qu’avant. On était autour de 40 millions il y a moins d’un siècle (années 1940). Nous sommes des hyper-consommateurs aussi, par rapport à cette époque.
La complexité, ce qui se passe en avale et en amont fait des impacts. Les agriculteurs font des impacts. Ils ne peuvent pas faire comme avant – ils ne font pas comme avant. Même sans normes.
Il faut qu’ils acceptent qu’ils vivent dans un écosystème qui génère de la biodiversité – qu’ils en font partie. Si Edgar Morin fait partie de ceux, avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT) qui ont en partie fait vivre ces mots et ces récits, tout récit peut mener à une interprétation erronée. Il est vrai que le Développement durable est un oxymore dans son usage présent, mais Small is Beautiful (c.1968) fait toujours mieux contre l’échelle industrielle que Décroissance (c.1972) et croissance verte se met carrément au service du green-washing.
Donc je pense que Xavier Noulhianne, l’auteur du livre Le ménage des Champs, Chronique d’un éleveur au XXIe siècle (2016) a à la fois tort et raison. Il a raison que l’invasion des normes de qualité et de traçabilité industrielles actuelles est néfaste et inique. Il n’a pas raison de s’attaquer à la raison systémique. Il a raison de s’attaquer à cette raison systémique qui nous domine, à présent, mais pas à « la raison systémique » ou à toute raison systémique, ou à toute « rationalité ». Il a raison de douter de la valeur des idées « marques » - comme la Bio (grand B), mais nous avons besoin d’une lexique rafraîchie pour pouvoir comprendre et discuter du monde dans lequel nous nous trouvons. Le mot « résilience », dans le sens qui lui est accordé aujourd’hui, est emprunté à l’anglais où il est déjà rentré dans la langue courante il y a longtemps. Cela veut dire donc « savoir fléchir sans casser ». Je ne l’utiliserai plus maintenant, après l’explication de Xavier Noulhianne que la résilience veut dire que cela use quand même le matériau.
Lorsqu’il ébauche l’analyse des tenants et aboutissants du bio (petit b) à partir de 1972 en les contrastant avec les tentatives de normalisation actuelles, le puçage des chèvres, la télémétrie satellitaire, l’utilisation des agriculteurs au service des industries des pesticides et des machines agricoles, il a raison de nouveau. Mais ce n’est pas pour autant que le petit éleveur de bétail n’est pas critiquable, de son côté, et cela bien avant le présent.
C’est que les mots, il ne faut pas les céder. Les récits non plus. C’est une bagarre de sens, mais pas sans mots. « Solutions techniques » est une autre expression problématique, à l’égal de « la Science ». On cherche bel et bien des solutions à nos problèmes écologiques – des solutions qui donneront des bons résultats physiques. Nous sommes des êtres physiques. Notre bien-être mental – ou spirituel – a lieu dans nos corps et ceux d’autrui. Au lieu de rejeter la science et la technologie, il faudrait récupérer ces mots et les reconnaître pour ce qu’ils sont : des manières de décrire n’importe quelle technique ou savoir faire, qu’il soit humain, social, technologique, physique, chimique. Les mots commencent à perdre leur sens quand nous les employons pour vouloir dire autre chose que leur sens simple, non-dilué.
Je me suis saisi d’une expression « théorie de l’information » dont je ne suis encore pas au courant de ses subtilités académiques. J’ai compris que l’information passe par des agents, des agencements – j’aurais dit « localisés » mais j’aime bien le mot « situé » qu’on commence à utiliser – situés dans l’espace-temps. Dans notre espace-temps de tout un chacun.
Je pense que si le passage d’information et de matériel physiques devient de nouveau « situé », c’est-à-dire localisé – et que cela emploie des agents humains, dans leurs déplacements à l’échelle humaine, nous retrouverons vite une manière de nous adresser physiquement et socialement aux défis écologiques qui se présentent à nous. En ceci je suis déjà pleinement dans le champs d’accord avec la petite paysannerie, telle qu’elle a été, avant 1948.
Mais il faut pour cela des modèles physiques réelles d’infrastructure – en mouvement - dynamiques. Et le petit fermier sur ses 16 hectares ne fait pas l’affaire – il est statique, sans main d’œuvre, « seul face à une actualité jamais saisissable ». Il faut modéliser un système d’autonomie en mouvement, ce qui nous met face à l’altérité – être des gens qui bougent, souvent en formation, en faire jusqu’à une mode de vie. Le monde paysan est autant mis à mal par ces mouvements de populations que d’autres habitants sédentaires, à qui la sédentarité est rendue possible par la voiture. Avec les boucles de retro-action fonctionnelle entre sédentaires et nomades, c’est la complémentarité de ces deux modes de vie qui devient de nouveau possible, mais comment ?
Je pense que les marchés ruraux, mais pas seulement, urbains aussi, démontrent déjà comment cela peut se faire. Pas les ventes « à la ferme » qui ne font qu’une autre version de l’ingénierie socio-économique des supermarchés et des zones pour chaque filière. Les marchés de plein vent répondent logiquement aux besoins d’un espace-temps où les gens peuvent coïncider, en bougeant. La bénéfice est de créer des séquences et des rythmes sur lesquels on peut construire sa vie en déplacement. Ce qui manque, c’est l’accueil – les auberges, les lieux de stockage, les campings municipaux et les potagers qui desservent les populations qui bougent. Ce sont aussi les intérêts partisans, exclusifs, qui terminent par rendre la vie active impossible. Ce sont les occupants de milieu rural qui « ne veulent pas » de populations itinérantes, à moins qu’ils viennent avec l’argent. L'inutilité humaine, elle aussi, est un produit du système - et très dangéreux pour nous tous.
Noulhianne ne paraît vouloir s’adresser qu’à ses frères et sœurs éleveurs, comme camarades dans sa lutte. Il cite ce genre de lutte sectorielle comme « exemplaire », tout en reconnaissant son impossibilité dans les conditions atomisées d’aujourd’hui (p244., par rapport à « Des éleveurs contre la sélection d’État »). Il prétend, avec raison il me semble, que la situation terrible des éleveurs n’est qu’un exemple de plus de la société systémique qui nous afflige. Il faut donc trouver moyen de concentrer les forces, pas les balkaniser, sinon le propos n'est pas sérieux. Sans nier que l'information et le témoignage sont bien utiles, impressionants même.
C’est la voiture en combinaison avec le téléphone portable/ordinateur que nous utilisons actuellement pour ces échanges d’information et de denrées. Mais si cela devient trop cher, même dans une économie de marché les êtres humains sans prothèse peuvent commencer à faire une concurrence économique contre ces moyens industriels – comme c’est déjà le cas avec l’utilisation du vélo en ville. Le fait de resituer nos moyens de communications – de faire renaître l’utilisation de téléphones fixes et non-individualisés, par exemple – conjointement avec une bonne discipline de focalisation sur l’exécution des tâches humaines, sans la facilité de l’hyper-consommation d’énergie - rendent encore plus intéressant cette approche. L’augmentation de l’horticulture en campagne n’est pas une proposition alléchante pour des gens riches ou cultivés, sinon pour des pauvres qui veulent s’en sortir.
Cela nécessite des entreprises en commun – de la coopération, de la coordination. Cela fait renaître l’intérêt pratique qu’apportent d’autres êtres humains.
Ce que je décris ici est une pensée systémique. J’ai toujours été de l’avis que cela sied très mal à un membre de la société « toute voiture » – une vraie monoculture, surtout en campagne – de protester contre la création de systèmes qui ne dépendent pas des machines industrielles. Si on est pro-humain, on devrait pouvoir envisager des systèmes qui mettent la primauté sur le fonctionnement physique et social humains. Si on prétend valoriser la dignité et les droits humains, la cohérence veut qu’on crée des possibilités de vie fonctionnelle sociale très humaines. Cette pensée « systémique » n’est autre qu’une reconnaissance que l’infrastructure, l’entre-nous, l’altérité font partie de notre humanité – que de traiter de chaque humain ou petit groupe d’humains comme un isolat social nie à la communalité de nos vies.
« Nous ne pouvons pas tous vivre comme des Amishs » - c’est le président Macron qui a dit quelque chose du genre. Dans un reportage sur les Amishs de cette époque-là (c.2018-9), on a raconté qu’on a vu des Amish utiliser des portables (dans un marché de bétail), que ceux qui en utilisaient ont expliqué qu’ils allaient aussi à la « petite maison » au fond du jardin en cas de besoin sévère pour les utiliser et que c’était pour pouvoir au moins être en contact avec la société en dehors de leurs communautés.
Je pense que les Amish donnent à réfléchir. Je ne connais pas leurs raisons religieuses, mais ils ont quand même réussi à se tenir, sans fléchir, face à la « techno-société » la plus forte du monde. L’exemple ci-dessus montre leur pragmatisme et non pas la psycho-rigidité qu’on leur attribue. L’urgence écologique est une urgence physique – nous devons déjà être en mode carbone-positive, bio-diversité-positive, dépollution et tout le reste, surtout là où la surconsommation est enracinée, si c’est du tout du tout possible. L’exemple compte pour beaucoup – il y a plein de cultures qui sont « en voie de développement » vers le modèle que nous présentons. Les chiffres pratiques comptent pour beaucoup – c’est nous qui sommes actuellement en train de faire consommer le monde, de par notre surconsommation actuelle.
Le marche à pied et l’emploi physique humains sont potentiellement carbone-positives, productives – et socialement utiles. Dans une infrastructure économique qui prend en compte les critères écologiques, elles le sont plus encore. Il est sûr que de telles normes sociales rencontreront de la résistance, mais aussi du soutien. Il y a beaucoup de formes de travail qui deviennent rentables, surtout en campagne, si on n’a plus à payer la voiture individuelle. Et en engageant les gens physiquement avec la nature dans laquelle ils se déplacent, on est en train de créer, de former des outils d’apprentissage pour des populations qui en sont éloignées. Nous n’avons qu’à créer les formations qui permettent aux gens de se déplacer en faisant revivre la nature pour donner la confiance aux gens que c’est faisable.
Cela mettrait en net relief les technologies qui servent et celles qui ne servent pas à l’intérêt collectif. Ayant au moins une méthode sociétale qui nous permet de stopper le réchauffement climatique, etc., nous nous créons une marge de manœuvre pour rétablir le rapport de force avec lesdites machines, une manière de les accommoder culturellement, tant soit peu. Par rapport à l’argent, le fait de faire tourner une économie physique, sans ou avec peu d’argent, est une manière de resituer les impôts là où on génère la revenu. C'est d'une logique impeccable ... écologique. Sinon, à quoi sont destinés les impôts?
Ce ne sont donc ni des solutions bison-ours ni Utopiques, mais très enracinées dans toute nos réalités, capables d’être soutenues pragmatiquement par des acteurs à toute échelle de la pyramide décisionnelle.
Si j’ai commencé par l’exemple que donne ce livre Le ménage des champs ... par Xavier Noulhianne, c’est que lui, comme la quasi-totalité des écrivains et penseurs jusqu’à là, ont une pensée que je qualifierais de « statique » de fonte en comble. Et cela alors qu’il a un cheptel de ruminants qui sont faits pour bouger (transhumance) à travers des pays où il se passe autre chose que l’élevage. Cette pensée me paraît manquer de calculer le mouvement – les choses et l’information qui bougent – et louper donc les questions fondamentales de l’infrastructure qui nous inclut. Chacun est plaqué sur place, à attendre « les visites ». Il est vrai qu’une pensée systémique non-dynamique nous oblige à l’application de normes qui viennent d’en haut. Si ce n’est pas par le consentement, par la force. Je propose des solutions dans lesquelles on participe, où on est acteur, à l’échelle requise. Il est évident que tout système proposé peut avoir ses défauts – que l’on découvre, au fur et à mesure. Le fait de bouger, sans être isolé, est déjà un passage à l’acte, à l’acte qui mobilise, qui fait découvrir. Pour les gens statiques, j’ai l’impression que cela représente une profonde menace – et je peux les comprendre. Mais il faut chercher l'engagement quand même. Dans mon expérience il n'est pas nécessaire de "chercher le conflit" - cela vient tout seul. "s'imposer dans la réalité de cet autre afin qu'il ne puisse échapper à notre propre perception du monde" (p.230) - cela revient à ce que j'ai déjà dit - il faut bouger. Les manifestations et d'autres actions symboliques de courte durée sont pires que rien, elles font acte de n'être que symboliques.
La liberté de mouvement et d’association (la non-censure) sont quand même les libertés primordiales desquelles écoulent toutes les autres. La « race » des agriculteurs est très bloquée, plus apte à des travaux de force que des courses de fond – ce serait peut-être le résultat de la sélection artificielle ? Blagues à part, la dignité et les droits humaines se perpétuent parce qu’on cherchent à les défendre pour tout le monde, pas parce qu’on les accorde à soi-même en fermant la porte aux étrangers.
Et j’ai des petits doutes. Dans une société agricole tellement appauvrie en petits paysans, est-ce que ceux qui ont trouvé bien de « rentrer dans le système », malgré ses défauts, sont vraiment les meilleurs conseillers ? Est-ce que Xavier a un tracteur ? Est-ce qu’il accepterait de faire faire à main ce qu’il fait actuellement avec le tracteur ? Est-ce qu’il traiterait les gens de passage comme des gens de statu social égal ? Est-ce qu’il accepterait de replanter des arbres (fruitiers) et des haies, en leur assurant la protection des déprédations du bétail pendant qu’ils poussent ? Il me paraît que tous ces efforts sont des efforts conjoints avec autrui et qu’ils ne marcheront que lorsque chacun y trouve son intérêt, pas seulement le détenteur du terrain. La ré-physicalisation (rématérialisation) de ces intérêts, en dehors du sphère purement financier, est la même chose, en réalité, que la reprise en compte du physique – de l’environnement, du vivant, comme des ayants valeur et des ayant droit.
C’est-à-dire des vrais intérêts, qui ne tarderont pas à se réintégrer dans l’économie globale. Cela implique que la dominance de ces « biens » de surface terrestre deviendra de nouveau un sujet très chaud. Des tout-petits paysans vont se trouver en relation avec des grands propriétaires terriens. Il va falloir s’arranger avec des « colons » (« métayers » qui se déplacent, c’est le sens original du mot), des « sans terres » qui veulent cultiver et qui n'attendent pas l'argent qui tombe du ciel. La renaissance d’un sphère d’action sociale restimulera les activités de groupes sociales organisées autour du travail vivrier. Ceux qui viennent planter des arbres, cultiver des potagers et aménager des chemins risquent de faire naître un autre équilibre de pouvoir politique qui n’a rien à voir avec ce qui existe actuellement dans les territoires non-urbains. Très loin des préoccupations des paysans et des fermiers actuels et souvent conflictuels.
Il est évident que le bio vient de la préoccupation avec la manière de pratiquer l’horticulture (l’agriculture est à une échelle trop grande pour être sérieusement écologique, pour moi) et non pas de la « qualité » de ces produits – qui en écoule en tous cas. Mais on peut se permettre de penser que si notre lutte écologique est sur tout le territoire, la production de fruits et légumes n’est pas l’aune par lequel on peut juger notre réussite. La transformation, les arts culinaires, la santé publique, mais à vrai dire toute l’infrastructure qui se concentre dans les autres industries et dans les centres urbains va se retrouver également intégrés au tissu de ce qu’on appelle la campagne, la « ruralité ». C’est notre affaire à toutes et à tous.
Il est donc important que les agriculteurs et ceux qui habitent actuellement en milieu rural soient proactifs dans l'invention de cette nouvelle infrastructure s’ils ne veulent pas couler sans trace. S’ils veulent se spécialiser – dans l’élevage par exemple – qu’ils pensent à créer des bails pour que d’autres gens puissent produire des légumes, beaucoup moins dépensières en surface. L’augmentation des fissures sociales – des gouffres – prend une forme où elle permet à des très riches et leurs dépendants de bouger entre la ville et la campagne en toute liberté, alors que les pauvres doivent rester dans et à proximité des milieux urbains. Cette polarisation est tellement forte – et croissante – que l’écologie sociale se trouve de plus en plus en antagonisme profonde avec les conservateurs de la nature, excessivement privilégiés, excessivement informés des traditions perdues dans les génocides culturelles successives des couches inférieures. Avec la fluidification, en bon ordre, de nos voyages en milieu rural, nous pouvons espérer trouver des remèdes à cette situation, mais s’il y a fermeture, l’occupation des zones rurales deviendra une source de conflit croissant. La possibilité de créer une vraie interactivité située, entre des agents situées autonomes, fait partie de la science nouvelle, qui révalorise l'humain, qui passe par l'humain.
Tournons maintenant à des manières d’agir pragmatiques dans notre situation actuelle, réelle. Avec le confinement et le couvre-feu qui se terminent, le désir d’aller voir le pays, de se décontracter, est en train, sans doute, de se manifester et de prendre forme. Ceux qui sont les mieux à même de passer à l’acte vont relancer des initiatives. Il y a bien besoin de soutien logistique. Le mouvement écologique devient plus radicalement opposée à la société industrielle, il occupe des grandes mairies en milieu urbain mais pas des petites mairies en milieu rural, en général. Il prend le relais, dans le radicalisme de gauche, sur les partis de gauche traditionnels. Malgré les tentatives de désamorcer la formation de centres de pouvoir territorial conséquents, les anciens centres régionaux, les grandes villes provinciales, ont des liens forts avec leur arrière-pays, si ce n’est que parce qu’une grande partie de l’élite et de la population active y vie, y va en vacances une partie de l’année, est originaire des départements autour de la grande ville.
Il serait donc intéressant d’étendre ces liens à la population ouvrière – que les actifs désœuvrés en ville trouvent du travail écologique dans la campagne. La logique de la situation écologique, économique et politique est telle que cela est devenu presque inévitable.
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mardi 23 février 2021
Analyse du paysage, tel qu'il se pressent
N'oublions pas un seul moment que les paysages qu'il nous faut analyser sont ici – pas dans les pays sous-pliants, dans la mesure que c'est ici que l'on a consommé et qu'on va consommer le monde – dans les pays dominateurs d'origine. La rapidité de l'épuisement des ressources, de l'extinctinction d'espèces et d'individus est telle qu'il restera très peu pour les pays en voie d'adopter notre mode d'hyperconsommation hyper-destructrice.
Mais cette analyse ne doit pas se faire sur des critères purement physiques au niveau dit «local» – c'est la logique du paysage dans sa manière d'appuyer nos valeurs qui en est le sujet, de l'analyse. Car, bien sûr, ce sont les dégâts perpétrés dans des pays lointains, pour fournir nos «besoins» de consommation, qui font partie de notre paysage actuel. C'est même pour cette raison que notre paysage local ne nous sert plus guère à rien en termes de fourniture physique de ce qu'il nous «faut» pour vivre. Au contraire, il nous est façonné pour créer le néant, le vide sur lequel nous imprimons nos rêves et nos désirs secrets, sans nous déranger outre mesure.
Voyons comment ça marche. A l'époque de ma naissance, en Angleterre, les «bed-and-breakfasts» mettaient encore des panneaux avec «pas de noirs, pas de chiens et pas d'irlandais» écrit dessus – et la moitié de ma famille est très identifiée à son origine irlandaise de par le nom de famille de divers personnages célèbres ... en Amérique. Rappelons-nous que John Fitzgerald-Kennedy a décidé d'occulter la première partie de son vrai nom de famille pour des raisons électoraux. Il s'est fait élire, aux États-Unis, presque au moment de ma naissance. Cela a marché, dans les deux cas, malgré les obstacles.
Ces irlandais et leur histoire servent presque de «testbed» pour le modèle colonial grand-plan instauré entre le dix-huitième et le dix-neuvième siècle. Ils étaient les «navvies» («ouvriers de base» - péjoratif) sur les gros œuvres des chemins de fer, des canaux, etc., sur le «Mainland» - la base manufacturière pour les importations de ressources primaires dans les colonies. Les pouvoirs anglais ont toujours cherché à garder les ouvriers «noirs» en dehors de leurs frontières métropolitaines – ce n'est que dans les années 1960s qu'on a vu arriver des antillais en grand nombre (la génération «Windrush») un peu de la manière qu'on a vu arriver les algériens en France, même si les circonstances furent moins tendues. S'il y a une raison à cette absence de noirs dans le mixte, naguère, elle est que les anglais ont un concept de la liberté et de l'égalité de tout le monde dans leur lois et dans leurs mœurs depuis toujours, qui ne sied pas du tout avec l'esclavagisme. Le «deux poids deux mesures» s'est entretenu en limitant la présence des coloniaux au minimum sur les îles britanniques – et en parlant encore moins de cette existence, sauf au niveau de l'exoticisme. C'est le Bristol, port primaire des armateurs de l'esclavagisme, qui en a connu le plus, historiquement. Mais la libération et la révolution se sont passés heureusement ailleurs, nous avons déjà eu la nôtre, à titre relatif, et nous l'avons poursuivie en extrayant nos bénéfices des autres par le free trade. Vive la liberté!.
Le modèle est encore plus malicieux – puisque une grande partie de ces irlandais (écossais, gallois, cornouaillais) servaient à l'empire britannique comme la classe d'administration coloniale de base – les pirates, les marchands, les petits chefs de chantier – et maîtres d'esclaves. On peut aussi observer à quel point les irlandais arrivaient à pénétrer partout si on jette un coup d'œil sur les noms des participants à … la révolution française, ou à la révolte dans la Vendée. «Takes one to know one» - d'après tout, ils savaient mieux que personne là d'où ils venaient … les grandes familles, l'extrême pauvreté rurale, les nettoyages ethniques ont tous étés d'abord le lot des ethnies discriminées des îles britanniques, leur rendant capables d'infliger leur «savoir faire avec» aux autres.
Pendant le cours du dix-neuvième et du vingtième siècle, tout le monde, peu à peu, a changé de station sociale. De nouveau, le trajectoire de mon grand-père d'origine purement irlandaise (sa famille est venue autour de la «Famine des Patates» génocidaire - c. 1850) en est un bon exemple. Il a intégré les forces navales anglaises pendant la première guerre mondiale au plus bas dans la salle des machines, pour terminer dans la deuxième guerre mondiale chef ingénieur sur les plus grands navires de la flotte. Pour l'anecdote, tous les bâtiments de guerre dans lesquels il a exercé ses fonctions ont coulé, sans qu'il soit jamais present au moment de leur némésis. Son fils, mon père, est devenu prof. Cette «ascension sociale» est des plus banales, dans l'histoire de presque tout «anglais» du début du vingtième siècle. Cela fait que l'Angleterre n'est décidément pas anglaise et le caractère national d'autant moins, la majorité de la «classe dirigeante» se sentant encore bien heureuse de s'être échappée du plus bas – il n'existe que le besoin de s'inventer quelque chose de discernable dans le flou des génocides progressives culturelles qui terminent par rendre ridicule l'idée d'une «guerre de classes» dans le sens figé du terme. Une guerre de l'entre-soi contre soi, sotto voce, à la rigueur.
racisme résumé
Ce qu'on appelle le racisme, ou de manière encore plus indéterminée la discrimination, a commencé très près de chez nous, partout, avant de se mondialiser. On pourrait dire que le racisme est «fractal» dans le sens qu'il va trouver moyen de s'appliquer dans tous les cas, si on lui donne sa tête.
Les échelles de la fractalité sont physiquement déterminées, on peut affirmer cela aussi. Les «classes discriminées» vont se trouver tout près lorsque les moyens de transport ne sont pas très rapides, ensuite ils vont s'éloigner - à l'époque des empires maritimes, pour, dans leur incarnation présente, se trouver partout, au temps de l'instantanéité éthèréale. Il faut simplement des marqueurs clairs – couleur de peau, voiture, âge, nom de famille, fric – lorsque la connaissance est dans le détail défaillante.
L'oligarchie, un mot sans importance jusqu'à il y a peu, a aujourd'hui un caractère défini surtout par la richesse et la mobilité matérielles et non pas par la couleur de la peau, le sexe, l'éducation, la langue. Les plaintes de racisme et de discrimination, par contre, se font par rapport à des vieilles histoires qui ne sont plus à l'ordre du jour réel – tout au moins dans la mesure que l'anti-discrimination à ces égards est devenue, en soi, une force de discrimination massive.
Dans notre trame d'analyse du racisme des États-Unis, un racisme d'apparence qui est, pour nous, anachronique, nous oublions cela – c'est-à-dire que de nouveaux motifs de discrimination peuvent naître et créer un ou plusieurs «effets ricochet» qui font resurgir les anciens ressentiments. Il nous faudrait y prêter plus d'attention sérieuse. La discrimination positive, basée sur des déterminants de classe saillants, laisse son empreinte négative sur des individus qui sont par conséquence exclus, sans motif, qui forment ensuite des coalitions de «pas contents». Ce n'est pas étonnant: sur le principe bien anglais de céder avant que la barque «craque», la proto-révolution américaine du déplacement d'une grande quantité de gens tout-à-fait compétents et aiguisés à la tâche de gouverner, blancs, mâles et d'une certaine âge, pour les remplacer par des gens moins rôdés, bien que ne manquant ni d'enthousiasme, ni de compétence, juste parce qu'ils ne sont pas blancs, pas des hommes et pas très âgés, peut paraître un peu fort de café. La logique statistique, hypothétiquement au service de l'individu, termine par violer l'égalité d'opportunité pour le dit individu, comme si on rajoutait dulestage à un plongeur pour l'interdire de refaire surface avant les autres. Il ne faut pas laisser hors compte le calcul politique des dirigeants encore en poste, de voir des barracudas voraces de la même taille remplacés par des poissons «sage-femme» à la plaisante complicité. L'individuation statistique de notre analyse de ces phénomènes insulte, en quelque sorte, notre intelligence collective, tout comme l'atomisation numérique et économique de nos intérêts masque habilement l'enjeu si favorable pour les pouvoirs hiérarchiques - qui soudent ainsi de plus en plus le pouvoir et de richesse entre leurs seules mains à cause de ces effets «secondaires».
L'un de ces effets secondaires non-identifiés est que l'oligarchie a, aujourd'hui, adopte ostensiblement une idéologie illusoire définie de plus en plus par des critères d'affect, aidé par ce tabou sur la discussion ouverte de leur fonctionnalité combinatorielle - leur «fractalité». Des mots comme performance, mérite, docilité, vitalité, beauté, chaleur humaine, empathie, autonomie, facilité, adaptivité, charisme, dynamisme, compatibilité foisonnent et contrastent joyeusement avec d'autres mots comme compliqué, difficile, intriqué, caractère, insoumission, marginal, psycho-rigide … sans que l'on se demande s'il est vraiment possible, socio-psychologiquement, d'expliquer des effets de groupe en termes de pure psychologie individuelle. Témoigne la concentration qui se prête aux qualités exaltées nécessaires aux astronautes putatifs ...
Les mots choisis ci-dessus se veulent universels et neutres mais dans leurs effets exercent autant de tyrannie sur la «non-conformité» que n'importe quelle catégorie arbitrairement discriminatoire d'antan. Dans leur usage réel, dans leur subjectivité relationnelle, ces mots donnent le feu vert à toutes les manipulations du pouvoir social possibles.
L'anti-universalisme naît du désir de s'échapper des confins de cette monoculture amorphe en auto-service des privilégiés. Les idéologies de repli «identitaire» servent comme drapeaux rassembleurs auto-protecteurs dans le sens qu'étant, par définition, non-universelles, on ne peut pas les attaquer en utilisant les codes de ce cadre de logique devenu orthodoxe et politiquement correct. Noblesse oblige. Inconformité oblige plus.
La petite expression assassine qui représente le mieux cette situation de repli identitaire est: «c'est ton choix»
(mais, ... merci pour me le faire connaître …).
re-paysage – gre-unwash
Bon, cela a été une grande parenthèse – du moins en apparence – dans le sujet de tête - l'analyse du paysage. Ce paysage, il est cependant le résultat, le produit de cette trame analytique. Vu d'un avion, le paysage de l'Europe de l'ouest est affreusement répétitif, un patchwork de rectangles à perte de vue, qui ne cesse que lorsque la mer ou les montagnes empêchent l'intervention humano-machinale directe. A l'instar des HLMs anglaises, fondées sur la doctrine du choix, ces rectangles sont d'une uniformité éclatant de mornitude. Pour ne pas perdre la face dans notre accaparation du monde entier, notre abandon des quelques friches inaptes à l'occupation se qualifié de «réserve» – pour que personne d'autre ne s'y aventure non plus - la nature humaine remplit ainsi le vide.
Mais la bio-nature et la biodiversité sont ici en état catastrophique, la régularité «anti-naturelle» du paysage met en évidence les spasmes et contractions qui ont arrêté le «cœur» de cette nature. La qualité géométrique de ces phénomènes n'est pas dû au hasard, ni est-elle dû à un dessinateur global «conscient», elle est le produit d'un système, oui, mais surtout d'un système qui a perdu le sens de ses aboutissants géophysiques contextuels, sa seule cohérence étant auto-référentielle.
Le plus pitoyable, dans ce système qui s'est échappé à ses dessinateurs, est que la «nature», pour nous, ce sont les montagnes, la mer, qui avec leurs formes d'apparence insoumise à l'artificialisation de l'anthropocène, représentent des éléments d'espoir de retrouvailles avec notre nature propre. Cette mode de pensée «anti-classique, néo-gothique», est née avec la révolution industrielle, c'est comme l'idéal du jardin anglais en contre-point de l'idéal du jardin de Versailles.
En réalité, les friches qui se trouvent aux marges de notre artificialisation du sol n'ont pas plus de sens que le paysage domestiqué – l'échelle des choix décisifs qui les a formé n'est nullement en phase avec les besoins de la planète et ces vestiges dites «naturelles» ne sont que les bords de page non-guillotinés dans une œuvre d'auto-destruction quasi-complète.
Tout ce dont on peut être sûr, c'est que les paysages qui en résultent représentent les manifestations physiques de la dynamique qui les a créés – si on sait les lire.
randonnée en vaine-pâture
Ce matin, j'ai marché, sur la route qui mène vers le haut, vers l'éco-golf (sans encore le trouver, j'espère que ma bonne chance continuera). L'ambiance sonore, le matin de ma sortie, a été remplie par le vrombissement d'automobiles vacancières d'un beau dimanche de «couvre-feu», en symphonie avec des tirs soutenus de fusil assez gros-calibre. Les fourgonnettes et 4x4 blancs qui sont de rigueur pour le transport des chiens de chasse surnuméraires étaient librement distribués au bas du chemin. En montant, j'ai noté l'oblitération standarde de tout arbuste, tout roseau par le fauchage, au bord d'une route goudronnée en état immaculé. Des panneaux d'apparence rustique indiquaient les gîtes tout prêts à accueillir le touriste aux poches profondes. Le panorama qui s'étalait devant moi était d'un paysage de champs vides entourés de clôtures électriques, quelques moignons d'arbres erratiques, quelques vaches vacantes. Ensuite, des tas de pierres et d'agrégats qui donnaient à penser qu'il y avait eu des travaux de construction «en cours», des champs déchiquetés en ornières de boue par les tracteurs, deux ou trois petits conglomérats de hangars massifs qui devaient être les fermes du coin. En surplomb, la garrigue du haut des «causses», trop pentues, trop dénuées de sol arable pour subir des mis-à-ras systématiques, peuplés d'épineux résistants aux vaches, avec des antennes relais encerclées de clôtures défensives tout au sommet comme des cornes surdimensionnées.
J'ai trouvé ce paysage désolant parce que désolé, désert. Le désert néo-rural réel. Les objets matériels épars étaient comme des bouts de lego géant placés ci et là. Il ne s'y trouvait aucun véritable lien avec les contours du paysage, à part la sinuosité précise de la route, aucune échelle mineure, aucune diversité, juste un gros dessin délaissé d'enfant désenchanté et distrait, avec les crayons couleurs abandonnés sur place. Seulement le LIDAR serait capable d'y voir quelques restes d'activité contingente humaine. Pas de jardin, pas d'abri pour des gens «bosseurs» qui ne prennent leurs loisirs qu'«en voiture», au dedans – dans un tel paysage je pouvais les comprendre. Très peu de variation chromatique. Des bennes en plastique au bout de chaque chemin de chaque «amateur de la nature» qui a décidé de venir vivre dans ce désert qu'il pensait plus prêt de la nature. Des bennes aliènes qui servaient à extraire les intrants dont dépendait le ménage.
Un paysage «infractal», où l'ordre de l'infractalité arbitraire s'impose, plus que l'ordre des êtres vivants qui s'accordent à en faire quelque chose. Même les vaches n'y voient que le sens d'entrée du grain et du foin d'ailleurs – elles sont équipées, ces ruminantes à courte vie d'ennui, pour rêvasser jusqu'à la fin du temps tronqué. Une fractalité unique – donc impossiblement contre-nature, idéale pour la chasse et les grosses machines, aucune anfractuosité de terrain pour se cacher, des champs de libre tir à perte de vue.
Ce paysage dit «pastoral», il peut s'apercevoir sur toutes les landes et les haut-pays de l'Europe, surtout au nord de l'Angleterre, là où les écossais ont été chassés de leurs terres (crofts), reprises par des aristocrates chasseurs qui en ont fait des réserves d'abattage «naturelles» pour ensuite douglasser le domaine forestier, ne laissant finalement que l'ossature du pays nu dans les vents hurlants, là où il y avait jadis des jardins, de la tourbe, des arbres anciens, des accidents de terrain vécu partout.
Les premiers «touristes», les premiers consommateurs, les premières vaches-à-lait de l'obsolescence programmée du paysage trouveraient ici les héritiers qu'ils méritent.
Je me rappelle qu'en Suisse, dans l'une des réserves naturelles les plus anciennes d'Europe, on réintroduit au bout de cent ans les loups pour permettre la croissance des jeunes arbres, broutés jusqu'à l'extinction sinon par les cerfs non-chassés du coin. Je me demande si l'effet majeur de la présence des loups n'est pas tout simplement que les cerfs savent qu'on les guette, qu'une présence familière les regarde de nouveau avec du sens.
Un paysage qui n'a pas de sens, peut-être ça se sent – que le vide se sent et qu'il est devenu la nature de l'étoffe cérébrale des esthètes du monde entier. Le silence. L'absence. L'effacement et son observateur, émerveillé, niais devant cette merveille insondable du vide qu'il sait créer, là où la vie a renoncé à son savoir-vivre.
Dans un écosystème, il existe une (en réalité plusieurs) dynamiques de réaction-diffusion – des insectes voraces pullulent, des prédateurs qui les mangent commencent à pulluler, l'équilibre entre les deux populations s'établit, mais cet équilibre est toujours oscillant – il y a des années où il y a plus de prédateurs, des années où il y a plus d'insectes, …
La vastitude de la nature nous a permis d'alimenter la croyance que nos petits efforts humains, que chaque «patch» de notre «work», n'allait jamais porter atteinte à l'énorme réservoir naturel qui rengraissait chaque année nos propres réserves. Ou plutôt, cet article de mauvaise foi s'est érigé en bannière de l'exploitation agricole (sic.), c'est-à-dire que son temps est venu avec les projets chaque fois plus ambitieux de spoliation outre-mesure de ces réserves. Il nous a fallu produire une autre mythe, celle des terres vierges et non-exploitées au delà de la montagne, toujours plus loin, pour continuer d'y croire, lorsque le monde sans limites s'est montré à bout de souffle chez nous. Les mythes présentes de «solution technique» à notre excroissance de consommation suivent dans la droite lignée de ces abjects mensonges. En foutant des engrais artificiels sur des terres agricoles écrasés et compactés par nos tracteurs trop lourds, nous pouvons faire des calculs optimistes de productivité augmentée, pour arriver à des bilans net-positifs de «développement durable». Il nous faut juste trouver les moyens de créer une énergie sans limites pour que le système se relance - je pense à l'abondance de croquettes de chien qui pourraient mieux servir à alimenter les feux éternels de l'église de l'industrie, mais ces sacrés amateurs de la nature me lyncheraient sur les seuls arbres qui restent.
Le patchwork du paysage actuel nous peint un tableau qui ne correspond à aucun augure du futur.
C'est la non-fractalité de ce patchwork de champs qui nous démontre cette réalité, de nouveau. C'est les champs carrés d'un mile anglais pendant des milliers de kilomètres au Canada, avec des villes identiques, avec des magasins identiques, chaque mil de miles. C'est les franges de ce règne anthropique qui, comme les franges délabrées d'une aile de papillon migrateur au bout du voyage, mettent en évidence l'usure qui condamne le système. Ce système auto-organisatif qui à l'origine était fait pour «jouer les échelles» comme un jeu de ciseaux, papier, pierre, qui n'était jamais réductionniste, mais expansiviste, contre toute épreuve. Du passé. Ses noyaux d'interférence à petite échelle pouvaient «pulluler» à n'importe quel instant, sauf que les moments de leur interaction avaient de l'échelle, coïncidaient et divergeaient de manière à créer des foyers et des granules à la mesure de leur environnement – puisqu'ils étaient faits de et avec leurs environnements, en contact intime.
Les grands migrateurs, les oiseaux, les virus, les planktons et nous, les éléphants de mer, nous sommes des vecteurs et nous nous devons d'en faire un sens et une cohérence de nos interactions, d'exporter et d'importer des modes «à diffusion lente» dans un monde qui dorénavant décollera de rapidité sinon.
du tout au rien
Les modèles statistiques ont du mal à traiter de cette réalité mais imposent leur camisole sur notre univers perceptuel. La météo utilise des modèles cellulaires qui créent des prédictions gros-plan de ce qui va se passer, au coût d'une consommation effarante de données. Les modèles climatiques et écologiques qui nous font si peur pour l'avenir fonctionnent de manière analogue, comme si le futur n'était qu'une projection du présent – rien de plus … simpliste.
La vie, non. Il suffit d'une seule mutation, à l'extrême limite de l'improbabilité, pour bouleverser le monde – (salut Covid!). On peut même oser dire que les principaux déterminants de l'avenir sont ceux qu'on n'a pas su anticiper ou comprendre ou accepter – bien que la meilleure manière de prédire l'avenir est d'essayer de le créer, avec ou sans connaissance de ses causes et de ses effets. Le monde humain s'est embullé, pour ne plus savoir cela, il se terraforme tout seul dans son coin, en splendide ignorance virtuelle.
Malgré tout la vie, dans ce sens, est expressément dessinée pour créer de l'exponentiation d'un presque rien – pour se reproduire, se multiplier, à partir de l'infiniment petit. Il faudrait vraiment que les pessimistes abandonnent l'espoir de se faire valoir, leur monde n'est pas du nôtre.
Les grains d'espoir réaliste se logent partout ou ils trouvent prise. Pour devenir des perles, leurs hôtes ont besoin d'une courbe d'oxygénation et d'alimentation régulière et pour qu'on les apprécie, ces perles ont besoin qu'on les récupère.
Il faut une tissu propice, une culture à même de faire fleurir des solutions écologiques réelles. Le conformiste industriel jette donc ses énergies dans l'élimination de tout sou-strate propice pour que l'avenir du possible soit mort-né. Il est pessimiste, sinon il n'est rien, il se défend en attaquant l'espoir, là où l'espoir a l'habitude de pousser. Sa récompense, les ronces.
Mais l'idée que parce que les probabilités sont là, le chemin logique doit les suivre, est ainsi invalidée. Plus on généralise l'infaillible statistique (comme s'il n'y avait que cela de scientifique), plus on se met en otage à l'inévitabilisme: le destin en tant que doctrine. Le problème avec cela est que l'on crée le monde de l'inévitable en s'appuyant pour la prise de décisions sur les analyses d'anticipation statistique qui le confirment – qui ne peuvent que projeter les probabilités -jeter les dés pour entraver notre avenir.
Cette analyse indique qu'il serait mieux qu'on arrive à parcelliser à petite échelle un monde de grande échelle, tout en maintenant le liaison entre les deux – que par exemple des grandes entités nationales et supra-nationales ne peuvent pas répondre à nos besoins collectifs, à moins de créer des cadres qui laissent le pouvoir décisionnaire à des entités cohérentes à chacune des échelles de dynamique localisable, pour y cueillir les fruits réflexifs après. Un jardin bien réfléchi n'a besoin que d'être laissé à se faire, la plupart du temps, pour qu'on cueillit ses fruits.
de la frilosité numériquement induite
Des raisonnements: des protocoles; des cadres logiques: des itérations. Nous ne sommes que «des machines» à penser. Le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas. Instinct, intuition, sens commun.
C'est comme si chaque expression devenait le cible pour les salves de son ennemi. Si les gens se réfugient dans la non-raison et exècrent l'intellectualisme, ils ont des fois bien raison, pense-t-on - pas de bravoure sans sentir le succès.
Le problème est l'apparent déterminisme des cadres logiques proposés. L'être humain est sous attaque depuis que Freud lui attribue des déterminismes structurels mentaux trop fixes, un peu à la «Fairy Tales de Grimm». La psycho-analyse nous achève – cherche les raisons de cœur supposément innées et enfouillées pour débusquer une raison devenue extrinsèque, déclarée, … analysable.
Ce sont les britanniques les plus résistants à cette vague d'absolutisme raisonnée qui ne donne pas son nom. «Soyez raisonnables» disent-ils, lorsque les extrémistes de la raison absolue tentent de les épingler. «Quand même, …!», ou «C'est un peu limite».
Peut-être toutes ces expressions ne veulent qu'exprimer l'importance du jeu et de la nuance, face à la rigidité dite «cartésienne». Cette rigidité peut se voir dans tous les dogmatismes, y inclus celui de «l'esprit» administré en antidote à «la raison». Le corpus de culture que j'ai stigmatisé de l'épithète «britannique» est important parce qu'il ne se réfugie pas dans l'absolu et il ne tente pas non plus d'abolir l'emploi de la raison, mais plutôt de chercher «le juste milieu», aussi inconfortable qu'il soit. Il est en fait adaptatif aux absolutismes auxquels il a du faire face – il sait maintenir le cap (une certaine cohérence) face au vent de proue.
«Vive la différence» est une expression très bien connue et très souvent utilisée en Angleterre – elle est, bien sûr, toujours exprimée en français - c'est l'une des rares expressions en langue française qu'on maîtrise. Il n'est donc pas tout-à-fait par hasard que Darwin a eu les moyens intellectuels de comprendre que pour que la spéciation et l'adaptation aient lieu, l'isolement, bien que temporaire, des populations, plutôt que leur constant métissage (brassage), soit un prérequis. Les anglais ont tendance à s'identifier avec une certaine fierté comme «nation bâtarde» – c'est a dire très métissée – ce qui est absolument vraie, surtout au niveau de leurs multiples cultures, qui se maintiennent en tension mutuelle. L'agnosticisme britannique dépasse de loin le sens de ce mot, se crée sans état laïc et sans état d'âme.
Il est dommage que le «Brexit» provoque un retranchement européen, à la lumière de cette analyse. L'Angleterre, dans sa digestion interne des empires externes, ne fait que miroiter notre sort collectif. Nous souffrons des mêmes maux que tout le monde, même un peu plus, et le mot «patchwork» s'est ré-employé d'abord en Angleterre pour décrire notre système champêtre, notre système d'«enclosure», qui s'est universalisé depuis … et comment! C'est sans doute, à l'origine, une adaptation culturelle à une démographie potentiellement affolante et aux tensions « cocotte-minute» qui en écoulent – préfigurant en symétrie fractale l'affreux élan démographique du monde entier - alors que nous avons déjà «immobilisé» notre campagne pour soutenir notre richesse, en rêvant d'ailleurs.
Lorsqu'on parle de «conscience collective» au singulier – de la transmission, de nos outillages et de nos technologies, il est légitime de se référer à des corps de connaissance culturelle comme celui des britanniques du fait qu'ils ont souvent étés les premiers à souffrir un mal de la modernité et ont donc eu plusieurs générations de génération du savoir-faire adaptatif aux problèmes – le paysage est ce qu'on peut appeler l'empreinte de sa «mémoire institutionnelle», pour le bien et pour le mal.
Le pays a en plus la qualité d'être assez grand, en termes de population et de convolutions côtières, pour modéliser vraisemblablement des problèmes à plus vaste échelle. Il est intéressant de noter l'imitativité des américains – sur leur îlot-continent – à cet égard, souvent plus anglais-parodie que les faux-anglais autochtones n'ont su l'être – puisque la présence de puissances continentales de l'autre côté de la Manche n'a jamais cessé de nous absorber l'esprit. Plus on est loin ... pour les écossais, le Continent représente la salvation de la gueule de «Big Brother». Le trop-absolutisme rationaliste, l'empirisme littéral de l'âge des lumières, sont le propre du collectif européen qui, de fait, occupe le continent nord-américain. Lorsque cette plaque continentale rencontre les premières bastions de l'Europe – les Îles Britanniques, elle fait des dégâts culturels: elle germanise, elle franchise, elle hispanise, elle lusitanise, elle latinise, pour ensuite être labellisée «anglo-saxone», une amalgame on ne peut plus paradoxale. L'Angleterre observe, sentinelle de l'Europe de toujours: elle fait le gué.
la pieuvre apprenante
La pieuvre nous donne des leçons sur la transmission et la sociabilité. Il est très intéressant de noter que ses petits, pendant qu'ils sont encore dans l'œuf translucide, enregistrent et sont formés par ce qu'ils observent et expérimentent dans la tanière de leur mère attentive. Les êtres humains sont nés «prématurés» – comme les petites pieuvres ils observent et ils enregistrent – ils «goûtent» à ce qu'il y a autours d'eux avant de devenir «acteurs» à part entière dans le grand monde. Pareillement aux britanniques – la deuxième phase dans l'apprentissage des pieuvres est de se trouver jetées dans les écumes des vagues en «flotsam and jetsam» («cannon fodder») pour des voyages qui ne peuvent que leur faire apprendre l'importance de l'adaptation à l'aléatoire dans la vie.
Dans le meilleur des cas, on rentre ensuite chez soi, bien équipé pour construire une vie casanière. C'est ce que font les pieuvres, en tous cas. Chaque nuit, ils sortent de leurs tanières, pour faire des promenades autour de leurs territoires chéris, en sentant la houle qui se défoule jusqu'au loin.
Or, la pieuvre est notée et notable pour être solitaire – avec les congénères il n'y a que peu de commisération – et plutôt en fin de vie. Elles peuvent cependant être grégaires – et leur «capacité» interactive est étonnante – changements de couleur, de texture et de forme, selon l'identité du prédateur ou de la proie qu'elles rencontrent. La «sociabilité» est déversée, dans leurs cas, surtout dans l'interaction avec plusieurs autres êtres – à part leurs congénères, si ce n'est que pour les maintenir à distance.
L'entre-soi d'une pieuvre est également très intense, elle a huit bras quasi-autonomes avec des milliers de ventouses collaboratrices, trois cœurs, deux yeux autonomes et des neurones partout. Le bas d'une pieuvre est plein d'intériorité tandis que le haut, à part, sert de plateforme aux yeux et le tout peut ou marcher ou se propulser moyennant son siphon et sa «jupe», ou encore s'insérer dans le plus petit des trous. De quoi se divertir tout seul, à l'infini. Les êtres humains partagent des facettes de ce jeu entre l'image mentale et l'interactivité dynamique, la plasticité de l'imaginaire et l'exigence du réel. Laisserons-nous la fractalité de nos vies nous échapper, par désir de l'autonomie absolue inatteignable? Pieuvreusement, j'ai l'espoir du contraire.
la méthode scientifique
«Trial and error» ... «destructive testing». La méthode scientifique suppose que l'on vérifie les hypothèses dans le monde réel - que l'on mesure les résultats dans le champs. En ceci, la dérive du scientisme a beaucoup en commun avec les «idées reçues», le «sens commun» et la tradition. A force de ridiculiser les us et coutûmes qui n'ont pas de base «scientifique», nous éliminons des corps de savoir faire importants ... tout en en infligeant d'autres qui n'ont que peu de temps opératif, en nous assénant de leurs lois de causalité rudimentaires.
règles de la fractalité
C'est par rapport à soi qu'on est fractal, finalement. On peut commencer par dire que c'est en interaction avec ce qui est le plus proche de soi que se bâtit la structure fractale, l'alterité la plus proche - la complémentarité, antagonisme, mutualité la plus proche, les sosies de soi. Les pieuvres et les humains vont beaucoup plus loin. Ils peuvent se contenter pendant de longues périodes avec les histoires qu'ils font courir dans l'intérieur de leurs machines à rêves, leurs têtes et leurs corps, une sorte d'involution du monde externe, un animisme affûté à l'énième.
L'indéterminisme causal réquiert ce dynamisme précaire. Les neurones miroirs signalent la moindre asymmétrie ou faille dans un dessein, elles s'alignent face à ces fentes dans la réalité plausible. Pourquoi un si grand nombre de neurones - nos cerveaux sont-ils un genre de cancer? Nos cerveaux, pourquoi ne prennent-il jamais de pause? Plus ils ont de l'information, plus ils en extrayent de la pertinence. Quel est le gain, dans ce tri incessant, interminable? Cela ne nous laisse même pas le temps pour réfléchir, c'est les rails qu'il nous faut observer, pour rouler dessus, voilà tout.
Les renouvelables, le développement durable, ces vieilles dogues. Le scénario fait songer à une histoire d'avion perdu dans les Andes avec un équipe de joueurs de rugby dedans. Les survivants ont leur esprit de corps, leur vigueur comme atouts. Ils les convertissent en cannibalisme. Ayant consommé leurs camarades, les derniers survivants pensent finalement qu'il vaudrait mieux sortir de là. Soyons positifs, comme eux! Mais pas juste pour masquer la déroute, l'effort requis est de relier la positivité aux raisons pour l'être. N'ayons pas peur de notre pouvoir démocratique - il est basé sur l'alternance! L'échelle du catastrophe déferlant commence à correspondre au cycle electoral, tellement il raccourcit - même un politicien raisonnable peut s'y risquer un peu dorénavant - à dire que le développement durable ne durera point - qu'il faut quitter l'avion.
J'ai toujours eu l'impression que les mots avaient un usage similaire aux pierres dans une rivière ou sur une côte. On saute, de l'une à l'autre, en perdant de vu la fin du chemin, pour se concentrer sur l'équilibre précaire de chaque bond en avant. On avance ainsi très bien, pour atterir pas trop loin du point visé, sans réelle intelligence du chemin qu'on a parcouru. C'est même une méthode: on choisit le cap, on met l'autopilote, on dort. Mais la barque, la barque, il faut la quitter!
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mercredi 24 février 2021
Digérer France Culture
«écraser l'autre avec sa science»
«je le savais»
«après coup»
«gros problème de timing»
… mais encore plus gros si on l'avait dit correctement, en anticipation, la double erreur d'avoir raison, pile et face, devant ses «tort»ionnaires.
L'excès d'immodestie devient modeste – et après?
Les «tentatives de domination» deviennent quoi?
Lorsqu'on participe à ce jeu qu'on ne peut pas gagner, il ne reste que la parodie.
L'injustice
Les universitaires s'en tirent le mieux – mais bien sûr – ils ont affûté l'art de la parodie au point que le bafouage de leurs dignités les plus vraies ne fait qu'aiguiser le couteau de leur dédain. Ce ne sont pas des piègistes, avec les mots ils peuvent faire des jeux ...
… pendant que France Culture, sur ses rails invisibles cherche des experts extérieurs pour dire l'indicible chez eux, en faisant que cela reste ainsi dans le légèrement non-dit – on l'a juste traduit.
Le droit d'en tirer bénéfice, de son lopin de terre – le propre des américains du sud et des espagnols, devient le droit à l'emploi devant ses pairs anglo-saxons, chacun le stéréotype porteur de sa culture.
Avec le revenu universel, les logiciens européens pensent éviter l'esclavage salarial.
Comme un fleuve paisible, la radio eunuque promeut des politiques fixes la longueur de la journée.
De la complaisance rassasiée
Je le savais, … diraient-ils à chaque reproche, …
Et oui, mais vous ne le disiez pas …
On ne pouvait pas le dire, sans perdre la cote
Et oui, et vous le disiez, ça?
Ou vous le faisiez dire d'autrui, en les ridiculisant, dans le dit?
Il est déjà un acte de mépris de non-dire que les américains automatisés ne font pas concurrence à leurs pairs, sinon aux machines de la vente aux enchères, qu'ils n'ôtent pas l'argent de la bouche des bons bosseurs, mais au contraire ne cherchent que l'auto-money qui les assimile au rêve.
La dissonance cognitive n'est pas ici produite par des publicitaires sinon par les meneurs du cœur de l'opinion du service public.
Le «droit» d'un paysan de l'Amérique du Sud à tirer profit de son lopin de terre, c'est le terroir de Bolzanaro, c'est ce qui le rend, chez lui, où les latifundia s'étalent, inattaquable par des écolos étrangers qui en parfaite incohérence demandent à réserver ces terres à des indiens vouées à l'extinction auxquels ils profèrent des marques de noblesse partagée.
La solution existe, mais elle ne peut pas être dite. Le seul travail irremplaçable humain capable d'absorber les masses qui a du sens écologique ici et là est celui de la répartition des latifundia en œuvre d'homme et du vivant. Sans réserve. Sans sub-primes.